samedi 28 mars 2009

nuit

La nuit de l'incompréhension, la nuée de l'incertitude, la ténèbre du non-savoir, je vis et respire dans l'attente, cœur inquiet resserré, retenu, contenu dans l'espace restreint de l'indétermination où je suis acculé à l'infortune. Un mauvais pressentiment me taraude. Je ne sais pas ce qui adviendra de nous mais je crains les pires extrémités. Et je ne sais pas ce qui adviendra de moi.

Si nous continuons comme ça, nous allons frapper le mur environnemental, fait de catastrophes climatiques annoncées, le régime des pluies se modifiera, entraînant de graves sécheresses dans plusieurs régions actuellement productives, tant et si bien que nous ne parviendrons plus à nourrir de larges populations. Je crains bien que dans trente ans il ne pourra plus subsister sur terre et ce, dans des conditions horribles ou misérables, qu'une toute petite partie de la surpopulation actuelle : je prévois que le nombre de nos congénères passera au-dessous de 10% des sept milliards que l'on compte maintenant. Probablement moins des 700 millions... on oublie trop facilement qu'il faut pouvoir nourrir tous ces gens.

La dixième partie, seulement, de nos descendants, survivra, ce qui fait pire que neuf fois décimer les troupes. On se souvient, en effet, que la décimation --comme le mot l'indique : (un sur) dix, le dixième (homme)-- était une pratique cruelle pour contraindre à la discipline dans les légions romaines : quand un corps de troupe était jugé coupable d'une faute grave, ou d'un manquement, au cours de la bataille ou plus généralement dans le service, occupation, blocus, etc., bien ledit corps de troupe était déployé régulièrement, les soldats au garde-à-vous mais désarmés, et les centurions, décemvirs et autres officiers défilaient dans les rangs, plongeant leur glaive dans chaque dixième poitrine.

J'ai bien des difficultés à me représenter la scène et je me demande, pas trop longtemps, comment ils s'y prenaient. En revanche, je me représente très bien comment on en arrivera à ne plus pouvoir normalement habiter la surface des continents. Mais lorsque je parviens à trouver le sommeil je dois confesser que je n'ai pas encore de ces horribles cauchemars, annonciateurs de ceux qui deviendrons réels.

Pour éviter ce futur horrible il faudrait une vaste poussée, coordonnée, agissante, des meilleures volontés, guidées par un plan lucide, clairvoyant, informé et attentif à toutes les causes de nos malheurs. Le seul problème étant que nous ne voyons pas encore le début d'une trace d'un tel plan d'ensemble. Les projections de l'entente dite de Kyoto sont largement dépassées, cette tentative est un échec qui montre l'incapacité des États, des nations, des peuples à s'entendre pour produire des efforts concertés.

Encore une fois, cela sera la guerre, une série de guerres de plus en plus sales, qui tranchera. Les guerres de l'eau sont déjà commencée : regardez en perspective ce qui se passe maintenant au Moyen-Orient. La course aux ressources des États mobilisés s'accélérera et l'augmentation des tensions éclatera en conflits de diverses intensités. Si le monde se défait, il n'y aura plus de guerre mondiale, à proprement parler, mais le nom même du monde, entrant en convulsions, sera guerre.

Dans ma nuit de l'inconnaissance je m'inquiète en pure perte. Peut-être le bruit se répand qu'il faut faire quelque chose. Peut-être trouverons-nous le temps de trouver des solutions...

Car cela reste une histoire à suivre : pas le choix, c'est la nôtre !

jeudi 26 mars 2009

fébrilités

Il y a accélération mais surtout fragmentation de l'expérience. La vie personnelle se détache en plusieurs portions et l'on n'arrive plus à recoller les bouts, on n'arrive plus a en coordonner un ensemble, on n'arrive plus à en produire du sens. Si bien que souvent "on" n'arrive plus à faire proprement et vivre comme une personne. Plusieurs rôles sollicitent et plusieurs visées usurpent à tour de rôle l'usage, l'exercice du poste de pilotage, tant et si bien qu'il y a des morceaux de plan, des tactiques, mais qu'il ne semble plus y avoir manifestation suivie d'une stratégie.

Il se produit une série d'explosions d'images, fragmentations des connaissances, des savoirs, des perceptions en une multiplicités de détails qui ne donnent plus un tableau d'ensemble. L'image du monde se décompose, sans déconstruction, en beaucoup de regards et plus vite, plus radicalement que l'effondrement prévisible de notre monde réel.

La conscience est éclatée, prélude à l'éclatement réel des sociétés ?

Dans l'angoisse la peur reprend le poste de commande et dicte des gestes précipités, des refus, des fermetures. Elle interdit d'élargir la compréhension et mine les leviers de la transformation dans l'agir. Nous sommes alors dans un danger qui provient de toutes parts, se présente sous des formes variées et nous atteint au plus profond. Ce qui devient finalement le plus à risque est la possibilité même d'une âme.

lundi 23 mars 2009

désarroi

La réflexion sur le sujet post-moderne prend conscience de sa très grande fragilité. En fait, s'il existe encore et/ou si l'on peut encore prétendre en asseoir une représentation, établir une théorie ou explication de ses structures, on est amené à le qualifier de faible et inconstant, épisodique ou fluctuant, versatile mais sans point de repères et le plus souvent participant, pieds et poings liés, à un vaste procès sans sujet: le Capital, apparemment, étant la seule forme actuelle de grande totalité en action.

Je me suis longtemps répugné à l'admission de cette défaite du sujet que représente l'accès, je dirais plutôt la chute, à l'ère post-moderne. "Post-merde" m'écrivait un ami, Jean-Marc Lemelin (cf., par exemple, recherche google : "pragrammatique"), dans une lettre personnelle du début des années 90. Mais il a fallu se rendre à l'évidence, une confluance de forces, facteurs et événements ont précipité la conscience d'une
perte généralisée de sens et de puissance dans le sentiment que chacun pouvait prendre de sa vie personnelle dans sa recherche d'autonomie mais aussi dans sa participation, volontaire mais aussi imposée et par défaut, aux vastes ensembles qui modèlent l'espace et les modalités de l'expérience.

Certains, réagissant à ce décor désolé, saisissaient l'occasion de nous présenter une nouvelle image de la liberté et proposaient les rebondissements d'un
sujet en procès, virtuose et créatif, performant autant dans les domaines de l'action et de la séduction que dans celui de la pensée ou du moins du discours sinon de la théorie. Cette dynamique est assimilable aux noms de Philippe Sollers et Julia Kristeva, qui regroupaient une chouette équipe autour de la revue Tel Quel jusqu'à sa transformation en L'infini et le passage à un nouvel éditeur, des éditions du Seuil aux éditions Gallimard au début des années 1980.

Selon une conceptualité inspirée de la pensée nietzschéenne, il s'agit de la position du nihilisme actif qui est excellement illustrée ici. Force est de constater que le nihilisme devient pas mal plus passif chez un auteur plus tard venu encore, Michel Houellebecq, mais la part active est représentée par l'envol imaginaire qui verse régulièrement dans la science-fiction : la porte de sortie, le futur alternatif qui peut, à la rigueur, tenir lieu d'utopie.

Mais les figures de l'utopie, de l'imaginaire, de la science-fiction et ses futurs alternatifs, de toutes portes de sorties virtuelles, fuites dans l'imaginaire, dirait Sartre, et qui témoignent, dirait Fredric Jameson, de notre incapacité à imaginer des alternatives réalistes voire même des changements réels à notre condition apparemment sans espoir, tout cela en toutes ses variantes sont absolument nécessaire pour maintenir le potentiel à tout le moins disponible de la capacité d'invention d'une importance vitale pour faire face aux crises qui, de notre fait, nous pendent, collectivement et massivement, au bout du nez.

Y a-t-il d'autres voies à explorer, d'autres entreprises, de réforme ou de recherche, à développer pour regonfler à tout le moins le moral d'un sujet devenu, sur le plan pratique autant que sur le plan théorique, hautement problématique ? Appel à tous ! La question est au moins posée et toutes les suggestions, propositions, solutions?... sont bienvenue. Je vous écoute.

À bientôt, cher dinosaures... et quelques oiseaux qui nous observent ?! J'attends vos messages, foisonnant ! J'espère, mais je ne mets pas tous mes "oeufs" (de Pâques!) dans le même panier et je continuerai néanmoins ma réflexion.

Pour maintenant, meilleures salutations !

mercredi 18 mars 2009

croissance et histoire

La croissance est un mythe, peut-être le mythe moderne le plus important, dans ses effets réels, en tout cas, sinon dans sa puissance d'attraction symbolique. Il est prépondérant dans le domaine de l'économie. Cette notion est devenue un dogme que de trop rares penseurs (pour ne pas parler des économistes --mais l'économie est une chose trop importante pour être laissée aux mains des économistes !--) osent remettre en question.

Mais un examen de l'histoire à tête froide nous indique que diverses situations se produisent. Des fois un certain type de croissance sera possible, voire nécessaire. Mais à d'autres moments elle sera néfaste voire impossible. Il serait intéressant de produire quelques exemples, ici, tirés, pourquoi pas, de la Critique de la Raison Dialectique de Jean-Paul Sartre.

Ce mythe moderne aggrave la perception de la crise actuelle mais aussi la sévérité de ses effets réels, comme il ne serait pas difficile de le montrer. Mais nous nous trouvons dans une situation où, historiquement, comme à la croisée des chemins, nous ne pouvons plus supporter de continuer à sacrifier à ce mythe.

Il y a déjà un certain temps que les écologistes les plus sérieux nous démontrent que cette croissance est néfaste et les plus récentes données sur les changements climatiques semblent corroborer leur démonstration par la sanction pratique du réel. Je crois qu'il est devenu assez évident que nous ne pouvons plus poursuivre cette croissance, "la" croissance à tout prix, du moins, par ce type de croissance : parce qu'elle est 1) quantitative, 2) aliénante, 3) gaspilleuse et 4) finalement destructrice.

1) Quantitative. Elle est mesurée par le Produit Intérieur Brut (Gross Domestic Product, GDP pour les intimes), le fameux PIB, et ce, même s'il implique de produire plus d'armes, plus de pollution, plus d'inconvénients et de maladies, plus de problèmes et de malheurs. Machine sans âme, c'est bien en cela qu'elle est purement quantitative, complètement indifférente au bien comme au mal, ainsi qu'à toute considération de qualité de vie dans l'habiter humain.

2) Aliénante. Elle se fait et se produit au détriment de la dignité et du développement de l'éducation et des capacités humaines du plus grand nombre, des producteurs comme des consommateurs. Elle mise sur le développement des besoins souvent les plus bas et les plus vils, encourage même les vices et les pires tares qui puissent se trouver dans la culture au sens large et dans le répertoire comportemental humain. Cette "croissance", globalement, se nourrit des défauts de la masse des individus, les isole davantage et les rend plus insatisfaits, mécontents d'eux-mêmes et des autres, plus dépendants aussi et plus faibles : malheureux.

3) Gaspilleuse. Tout cela se fait à grands frais de ressources rares et/ou non renouvelables.

4) Finalement destructrice. Cette croissance mauvaise produit toujours plus de pollution, plus d'armes qui vont finir par être utilisées dans des guerres de toutes sortes, va donc détruire à la fin du processus plus de vies, de terres arables et fertiles nécessaires à nourrir les populations, pour finir par mettre en danger de plus en plus radicalement toute vie humaine sur la terre.

Cette croissance économique, quantitative et unidimensionnelle (que je caractérise comme classique, en référence et non révérence aux théories économiques classiques) mise sur l'accroissement continuel de la population, pour augmenter sinon la masse des producteurs, du moins celle de consommateurs afin de relancer la machine en complétant le cycle du capital.

Mais ceux qui réfléchissent commencent à s'apercevoir que finalement, il est absurde de viser un accroissement de la population alors que les ressources non renouvelables sont dilapidées et que nous ne sommes plus en mesure d'assurer la survie à long terme de ces populations qui deviennent ainsi rapidement excédentaires.

Il serait plus conforme au simple bon sens de chercher à stabiliser la population alors que ces problèmes qui confrontent la masse des gens s'intensifient et se multiplient.. Cela serait un bon premier pas dans la direction d'une reprise en main par l'humanité de son destin. Cela serait, en fait, la véritable naissance du sujet humain, comme sujet de son histoire, cela dans une civilisation que s'assure de durer, inaugurant ainsi tout un nouveau cycle de développement.

En attendant que nous commencions à prendre de meilleures décisions, je vous souhaite à tous bonne chance, alors que les dinosaures continuent de surveiller la comète.

samedi 14 mars 2009

philosopher par gros temps

Philosopher à l'ère des catastrophes... Cela n'est pas évident. Dans les époques de calme apparent la préoccupation philosophique, le souci des "grandes questions" passe facilement pour une sorte de maladie mentale et déjà Aristote avait ses théories sur la mélancolie des hommes de génie. Mais c'est une création de la tradition philosophique occidentale que de considérer que l'histoire humaine est une et de bout en bout.

Et vous, n'avez-vous pas l'impression qu'il serait intéressant de savoir à quel bout nous en sommes ? Dans l'époque où nous sommes, celle des catastrophes approchantes et qui plus est, pour ce que nous en savons, catastrophes qui sont de notre propre fait, dans l'étalement massif de notre style de civilisation.

Ni au début, peut-être pas à la fin mais... au beau milieu d'une crise qui est plus qu'une simple crise de croissance, plus qu'une crise du concept même de la croissance : les économistes clairvoyants, comme les écologistes nous disent que la croisssance, telle du moins que nous la connaissons, n'est absolument pas soutenable.

Il n'est vraiment pas exagéré de dire que cette crise, que je croyais jadis être celle de l'adolescence de l'humanité est, plus exactement une crise existentielle où c'est la question de la poursuite dans l'existant qui est posée, soit le mode panique de la question souvent trop "pausée" de l'être. Le thème du tragique, ici, de l'existence humaine dans cette histoire sur cette planète, pas la seule et de loin!, est celui introduit par le génie sensitif que fut William Shakespeare. Mais la traduction qu'on nous propose est édulcorée, elle-même faite à partir du passage original en anglais où la ponctuation est défectueuse, ce qui détruit la radicalité du sens de la question qui est posée. Nous croyons qu'il faille lire :

"Être ou ne pas... mais être!, oui, voilà ce dont il s'agit !" C'est le moment crucial de la décision d'être, largement volontariste, qui voit la naissance du sujet moderne qui selon nous traduit plus nettement le problème posé par l'énoncé anglais à la ponctuation correcte : "To be or not... To be! That is the question!"

"The question" pas dans la sens contemplatif de l'intellectuel parisien, mais "l'affaire" en question, dans le sens hyperactif du businessman londonien.
Dans cette scène, qui tente de reprendre et d'assumer son être presque au niveau du choix originel, Hamlet se décide de combattre : pour récupérer l'exercice du pouvoir, il met ses fantômes derrière lui et se détermine à "vouloir le rien plutôt que de ne rien vouloir", ce qui est la définition selon Nietzsche du nihilisme actif.

Il y a plus de trente ans que je me tue, littéralement, à dire que la question qui se pose à cette époque où j'ai eu la chance de naître est une question existentielle de la décision d'être mais pour toute l'humanité, et je l'ai fait avec mes obscurités, quitte à m'engager dans une vie personnelle malheureuse. (Avec obsession sexuelle mais tristement incapacité à communiquer mon désir). Voilà pour la confession personnelle.

Mais aujourd'hui, où nous nous trouvons au-dessous de toute vérité, tant que cette question n'aura pas été nettement posée et en partie résolue, il est tout à fait légitime de dire : je vis ici et maintenant et puisque dans trente ans il est devenu inévitable que s'installe l'enfer sur terre, où ne survivra pas même 10% de la surpopulation actuelle (parce qu'il faut nourrir tout ce monde, alors qu'il n'y aura même plus assez d'eau à boire!) mon plaisir, aussi trash soit-il est la règle absolue de ma conduite.

Cette position de nihilisme subjectif, sous-variante d'un nihilisme actif, est aujourd'hui beaucoup plus répandue que l'on ne pense. Les discours officiels et les institutions perdurantes (c'est leur fonction) excluent l'expression de cette véritable stimmung de l'époque mais ne peuvent rien contre sa dominance. Mes sympathies en passant pour ceux qui trouvent encore la ressource de faire des enfants et de s'en occuper.

Philosopher aujourd'hui, oui mais, pourquoi : pour guider l'action ou pour justifier la destruction ? La seule chose qui m'est certaine c'est que l'on ne s'en tirera pas sans l'une et l'autre. Nous allons voir, dans les années qui viennent, entre autres choses, que la conception de la rareté déployée par Sartre dans Critique de la Raison Dialectique est tout-à-fait d'actualité, horizon non seulement de pensée mais aussi de (sur)vie !

À bientôt, chers dinosaures.