mercredi 16 mars 2011

cesser d'agir c'est cesser d'être... (II)

Sartre a tout simplement radicalisé l'idée fondamentale de la phénoménologie, l'intentionnalité. Selon Sartre, tout est intention la part du sujet, intentionnel de par la conscience, intentionnalité dans la réalité humaine.

Simple et radicale, sa proposition et intervention, dans le domaine de la pensée et spécialement dans le champ philosophique spécial de la théorie du sujet, n'en est que plus difficile à suivre. Beaucoup résistent et disent : "Non mais... il exagère!" On résiste à cette radicalité, je résiste, ça résiste...

Et il faudrait peut-être faire une théorie de l'inconscient pour expliquer toutes ces résistances. Mais Sartre n'a cure de cette exigence qu'il repousse comme un cercle carré, une contradiction dans les termes, une impossibilité de principe. Comment du point de vue du conscient faire la théorie de ce qui par principe voire totalement lui échappe ?

Domaine sensible de la Metaphysica specialis ou Psychologie, ou encore Geisteswissenschaften (qui se sont par la suite différentiées en dites "Science Humaines") selon les anciennes divisions, qui ne se dépêtraient pas de la filiation théologique voire du mandement mystique.

Mais l'approche phénoménologique bouleverse ces traditions et veut provoquer la fusion des problématiques de la métaphysique générale avec la métaphysique spéciale qui est celle du sujet. Le phénoménologue se lance à la recherche d'une continuité ontologique par-delà la dualité constatée du cosmos et de l'homme.

Le penseur moderne prend acte de la multiplicité des perspectives vitales sur le monde de la volonté de puissance, à la suite de Nietzsche, intègre les récents résultats de la recherche scientifique et réorganise l'appareillage conceptuel, de même que la structure de rationalité devant correspondre au monde de la relativité générale et restreinte.

Le silence de ces espaces infinis ne nous effraie plus. Peut-être déjà parce que nous avons appris à écouter ce cosmos, son quantique éternel aux variations virtuellement infinies. À moins que cela ne soit plus son quantique virtuellement infini avec ses variations éternelles...

Observant lucidement cette profusion, aux possibilités définies, l'homme du troisième millénaire cherche à mieux connaître sa niche mais aussi à l'étendre dans ce cosmos. Simultanément cela relance l'urgence d'approfondir la connaissance de soi-même.

Comment, pour ce faire, plonger dans les profondeurs sombres, informulées, obscures ? Il y faut la puissance de déduction d'un Sherlock Holmes, un sens aigu d'observation, une structure spéculative informée, des techniques d'investigation dignes de ce "roman noir".

Nous sommes tous complices du crime, dit Sartre, et nous devons tâcher de regagner la possibilité de la réflexion pure. Même l'inconscient est intentionnellement caché, il se dérobe et pour cause! Mais on ne sait pas exactement laquelle... Pour Sartre il ne s'agit pas d'un envers de la conscience mais d'un implicite, que l'on peut retrouver en se questionnant sur les fins, sans dérobade.

L'intégrité d'un sujet touche à la mise en question de son projet originel d'être. Être, mais quoi ? Être, mais en vue de quoi ? Et l'idéalisme phénoménologique est en trajectoire de collision avec le scepticisme psychanalytique.

Alors, à quand une théorie matérialiste, voire scientifique, de la subjectivité du sujet ? Est-ce même une bonne manière de poser la question d'une connaissance satisfaisante du fait d'être humain ?

Car la recherche d’une théorie matérialiste du sujet ne saurait simplement se satisfaire d’une réduction de la conscience aux conditions matérielles de son existence. Ainsi l’on retomberait dans les pires erreurs du marxisme dogmatique voire du stalinisme, et c’est évidemment un attitude à proscrire absolument.

Par ailleurs cette science serait en elle-même paradoxale, car elle n’est pas objective, et tout d’abord parce que son objet lui-même n’est pas de nature intégralement objectivable. Il faut donc une théorie souple de la conscience, qui permette d’expliquer les phénomènes remarquables qui s’y produisent et qui laisse place au domaine autoréférentiel, à des facultés évoluées comme l’autoréflexion et la compréhension, qui n’est pas de même nature que l’intellection.

Celle-ci relève de l’intellectualisme alors que celle-là fait appel à la sensibilité de l’être sentant et non pas seulement pensant, aux connexions multiples dans un effort de totalisation, pondérant une riche culture, nécessaire, subtile et complexe pour se mettre en mesure de resituer tout fait humain, tout phénomène dans le contexte plus large d’une culture elle-même située dans son moment spécifiquement historique.

La science du sujet devra être elle-même historique et dialectique.

mercredi 9 mars 2011

cesser d'agir c'est cesser d'être

Depuis quelques temps, cette pensée m'obsédait. Sa formulation est claire. Trop ? Provocatrice... D'une bonne dose de réflexion en tout cas.


" Ainsi la réalité-humaine n'est pas d'abord pour agir, mais être pour elle, c'est agir et cesser d'agir, c'est cesser d'être. " (L'Être et le Néant, éd. Gallimard, collection TEL, p. 533)


Ici le "bénéfice secondaire" de ma névrose, il tient au fait que dans cette situation de blocage du désir, et tant qu'elle perdure, je puis me considérer comme étant dans une sorte de convalescence. Ce qui me permet de flatter mon premier penchant qui est pour la paresse, ainsi que la recherche, surtout de manière passive et évitante, d'une certaine quiétude.

Hier pourtant j'ai tenté de défier ce triste destin, en abordant cette jeune femme pour tenter d'initier une relation avec elle. C'était une émotion très forte, l'adrénaline battait son plein et j'avais les jambes non seulement flageolantes, ça tremblait très fortement au-dessous des genoux. Une très étrange sensation.

Je pourrais peut-être (re)devenir une sorte de Don Juan, si seulement je devenais "addict" (dépendant) de cette sorte de sensation et d'émotion. L'impression en tout cas de vivre intensément l'instant. L'exaltation de la conquête ? Mais pour moi dans ce cas-ci je crois bien que c'était la peur panique d'être, de me trouver, de me présenter nu et comme sans défense, ouvert et en proposant une ouverture d'amour et/ou d'amitié à une jeune femme et offert sans recours possible à la disposition, au jugement, acceptation ou rejet, devant le jugement d'autrui, finalement. Instantané et sans appel.

Peur du rejet. Peur du rejet ? La peur du rejet, devenu panique, pratiquement incontrôlable, à cause des blessures (narcissique) du passé aux traumatismes conservés vivants, non guéris, toujours saignants dans les méandres inconscients de la mémoire affective. C'est par la répétition et la réactivation de ces affects blessés que je suis devenu une personnalité évitante dans la vie civile. Un piètre citoyen. Mais il y a eu dès les débuts l'instauration d'un terrain favorable à ce type de névrose.

Je prétends que cela vient de la transmission caractérielle, génétique, donc, mais pas seulement, de la personnalité inquiète de mon père, tourmenté, irrité lui déjà d'une angoisse et névrose de rejet. Mais je prétends aussi qu'il a renforcé cette transmission génétique par le chaos qu'il a semé dans mes émotions par ses agirs dès les interactions au berceau. Cela se passait même avant l'âge de deux ans. Sous prétexte de jouer avec le jeune enfant, son premier fils, il le terrorisait.

Cela n'est pas exceptionnel. Je suis conscient que pratiquement tout le monde pourrait parler de tels sortes de traumatismes subis dans quelque part, tôt ou plus tard, dans leur histoire personnelle. Rarement le fait-on d'ailleurs. Je suis peut-être trop sensible. Mais le travail de l'écrivain comme du penseur, comporte, j'en suis convaincu une grande part d'expressivité. Et je ne suis pas du genre, courageux sur cet aspect, à me cacher derrière d'abstraites théories, mensongères déjà lorsque abstraites. Non pas vérités universelles mais détachées de tout contexte.

Alors je me dis que je ne cesse pas d'agir, ni, donc,d'être, tant que je cherche à comprendre, me guérir, réagir ! Tant que je veux toujours continuer de vivre, à croître et à croire, je peux toujours tâcher de me mettre en mesure de (re)devenir moi-même, de me régénérer et de tenter, comme tout le monde, de m'équivaloir, ou me hausser au niveau de mon propre destin.

Ce printemps encore me ramène à l'optimisme. Je nomme plus précisément l'optimisme existentiel de Sartre. Il demeure fondamental, à côté de tant d'autres thèmes plus sombres, qu'ils soient théâtraux ou tenant d'une implacable lucidité. Je retiens de lui cette phrase, en particulier, disant : " on peut toujours faire quelque chose de ce que l'on a fait de nous. "

C'est ainsi que le pour-soi se reprend, puisqu'il a à se faire être, à assumer son être. Libre, il est responsable et se refait, praxis ou autrement. (Poiesis, interne mini-praxis ? comment faire autrement ?)

Un jugement dur donne l'impression que Sartre n'a fait d'abord qu'une théorie (idéaliste ou volontariste) de la liberté pour artiste, créateur... et encore, écrivain ! Sartre a fait une théorie de la liberté pour les écrivains ! Et quelque part cette critique conserve tout son sens.

Mais l'écrivain est un homme dans une situation un peu faussement privilégiée. C'est un homme comme un autre, taboire ! (Juron québécois, pardon. Note de la rédaction) Le sens intime, même illettré, se débat et se reprend avec de possibles accès de (trans)lucidité. Je persiste à croire que bien comprise, la théorie du sujet qui se dégage des écrits de Sartre est toujours pertinente à la compréhension et explication de la réalité-humaine.