vendredi 28 janvier 2011

Table rase

Sartre part de l'intuition de l'existence, redécouverte à partir d'un dépouillement de la perception d'un existant brut, indifférent. C'est sa table rase à lui, le geste fondateur qui inaugure le domaine de sa pensée. il postule le sentiment correspondant de la Nausée. C'est le sentiment de dégoût, celui de découvrir la futilité de toues les entreprises humaines en face de l'absolue contingence de l'existant brut et découlant d'une émotion débordante, une sorte d'ivresse désagréable lors de l'expérience de cette "révélation", extase négative d'une découverte qui fait basculer le sens de la pertinence de toute construction subjective.

Le psychisme en proie à cette expérience, qui serait celle de la révélation de l'être perçu, en situation du fait d'être dans le monde des étants, selon Sartre, est fortement ébranlée et perd, en quelque sorte, tout ses repères au risque de sa consistance. Il réalise la faiblesse ridicule des manœuvres psychologiques de justification du sens ou de la pertinence des conduites humaines en face de l'intensité perçue du fait brut, facticité de l'être.

Cette expérience traumatisante est à la source de l'intuition de la "réflexion pure et non complice", qui affleure de loin en loin dans toute l'œuvre de Sartre mais qui est sa source secrète d'énergie. La Nausée est l'expérience originaire qui conduit à la découverte de la réflexion pure, sorte de matière première phénoménologique que cette réflexion est seule à même de thématiser. Révulsion au contact nu de l'être, ce volcan alimente comme la peur la fuite réflexive qui tente de restaurer la consistance mise à mal du psychisme. Mise à nu de la futilité de toute justification, excuses impuissantes et qui mène au refus de complicité avec les entreprises mondaines.

Cette émotion contrôlée, évitant la panique qui mène à la psychose, la côtoyant tout de même d'assez près, c'est ce qui donne à cette réflexion cette sorte spéciale d'allant qui séduit le lecteur empathique de Sartre. Réflexion pure constamment alléguée et qui forme la marge active en bordure de la pensée sartrienne.

C'est pourquoi je te conseille, Julien, de lire le premier roman de Sartre, La Nausée. Imprègne-toi bien de ce texte, tâche d'en comprendre tous les tenants et aboutissants, essaye d'éprouver et de réaliser cette expérience par toi-même. Je crois que tu t'assureras, ainsi, d'un point de départ pour sauter dans la réflexion sartrienne, mais il faut aussi lire La transcendance de l'Ego, tout de suite après La Nausée, et aussi un court texte, un peu difficile à trouver mais important : Esquisse d'une théorie des émotions (éd. Hermann), pour bien comprendre la teneur substantielle de son enquête d'ontologie phénoménologique telle qu'elle est exposée dans L'Être et le Néant.

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