jeudi 9 juillet 2009

La leçon de Merleau-Ponty

Il serait peut-être intéressant de revenir à la pensée de Maurice Merleau-Ponty. Je ne l'ai jamais beaucoup lu. J'avais exécré, quand je l'avais lue au début des années 80, sa critique, à mes yeux injuste, du radicalisme politique de Sartre dans Les aventures de la dialectique.

Mais c'est un phénoménologue français important et qui a fait école ; et sa pensée se retrouve encore aujourd'hui peut-être un peu mieux enracinée dans les études universitaires que celle de son rival de naguère et pourtant jadis camarade et compagnon de combat.

--"Si le désaccord avec Sartre perce déjà par endroits avant la publication de L'Être et le Néant, et devient plus manifeste dans les pages de la Phénoménologie de la perception consacrées à la liberté, ce sont surtout les inédits de la fin des années quarante qui préparent la sévérité et les audaces d'une critique qui éclatera au grand jour à partir des Aventures de la dialectiques." (*)


Ce désaccord porterait essentiellement sur le statut du néant. Chez Sartre les oppositions apparaissent nettement tranchées, prélude à un combat éternel, dans le style des Blancs et des Noirs aux échecs, source d'empoignades infinies... Merleau-Ponty, dans son opposition de plus en plus affirmée, affirmative, élabore la notion de la chair, qui, selon lui, incarne comme tourments et empiètements, les oppositions qui semblent ultimes pour la conscience rationaliste du moi mais qui sont médiatisées et dépassées positivement dans le flot de la vie personnelle.

Il ne suffit pas de dire que le néant surgit porté sur l'être, comme le fait Sartre, pour échapper à la critique d'essentialisme et d'intellectualisme, voire d'idéalisme, mais il faut aussi montrer comment ces néantisations circonstancielles se produisent du sein même de l'être-au-monde et de l'expérience d'être, dans la substantialité à la fois active et passive de la chair, notion donc qui tente de saisir tout le domaine éprouvé et senti de l'incarnation, dernier mot de la corporalité ou corporéité ? Comment mieux expliquer la sensation d'être un corps ?

L'enjeu est de taille au niveau d'une propédeutique philosophique de la question du sujet parce que le soupçon se fait jour que la dialectique serait, en tant que logique de la contradiction, c'est-a-dire des affrontements contradictoires, qui ne sont qu'exceptionnellement les problèmes cruciaux de la vie, soit dans le domaine humainement délimité par l'histoire, tout à fait inapte à faire progresser l'investigation dans le domaine de l'ontologie.

Le deuxième Sartre, en rompant avec la tentative de l'ontologie phénoménologique, aurait pris acte de cela, dans CRD. L'organisme pratique, support de la praxis, n'est pas le pour-soi de EN et est incommensurable avec lui.

La liberté, dans le domaine de l'incarnation, spécialité sensible de la situation de corporéité matérielle, serait l'expérience et les limites d'un pouvoir-être autrement et qui du sein de l'être pourrait néanmoins apporter du changement. En corollaire, on ne peut pas sensiblement parler de l'amour dans la logique oppositionnelle du moi rationaliste et donc volontariste.
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* in Maurice Merleau-Ponty, Hermann éditeurs, Philosophie, 2008, 458p., citation tirée de l'Introduction par Emmanuel de Saint Aubert, p. 11, note 2. "Tout se passe ainsi comme si sa lecture de Descartes entrecroisée avec celle de Husserl et de Heidegger (...) avait destiné Merleau-Ponty à tenter d'établir, sur le terrain même de la philosophie, la primauté de "l'usage de la vie" sur les dichotomies établies par l'entendement." id. p. 88 (Le soi incarné -Merleau-Ponty et la question du sujet, par Maria Villela-Petit, pp. 79 à 123).

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