samedi 18 décembre 2010

Sartre!

(E-mail à un jeune ami, du 16 décembre 2010)

Bonjour Julien, Je viens de voir ton message. Cette adresse n'est pas mon courriel principal. Je ne pense à le consulter que de temps en temps. Ta question a l'air toute simple comme ça. mais c'est une question ouverte. Il faudrait que j'en connaisse un peu sur toi pour te faire une réponse adaptée.

Par exemple, moi, je suis un Québécois, j'ai eu la chance d'aller un an à Paris, il y a longtemps, en 1976 pour tout dire, pour étudier principalement la philosophie. J'étais marxiste à l'époque et sévissait Althusser. J'ai suivi les cours de Badiou, sur les dialectiques et j'avais beaucoup apprécié. C'est de retour au Québec que j'ai senti le besoin d'élargir le champ des questions et que je me suis servi de Sartre pour contourner le dogmatisme de la plupart des marxistes. Mais je suis tombé en amour avec sa pensée, c'est pourquoi j'ai fait mon mémoire de maîtrise sur lui : La mesure de l'impossible -étude de la notion de liberté dans l'œuvre philosophique et autobiographique de Sartre. "La vie et l'œuvre", quoi! L'engagement, la définition de l'intellectuel dans son rôle politique, sa relation à la société.

Après j'ai poursuivi mes lectures et réflexions, je suis allé beaucoup du côté de Nietzsche et contre, tout contre Heidegger. Sentimentalement, Sartre demeure mon préféré. Mais sa morale pratique est trop exigeante pour un petit bourgeois un peu paresseux et qui préfère sauvegarder un peu de confort. Bien sûr je ne parle pas de toi, je ne te connais pas, je parle de moi.

De par sa formation, Sartre est un hégélien rebelle. C'est la révolte de Kierkegaard contre le Système qu'il épouse, le privilège de l'individuel qui touche le concret de l'expérience de vivre, l'existence, contre les pesantes abstractions conceptuelles de "l'universel". Intellectuellement, pour contrer la métaphysique, il adopte la méthode de Husserl, il se fait phénoménologue. Examen et analyse des actes de conscience, réduire l'incertitude, fonder l'évidence : c'est là la quincaillerie de la production de vérités.

Mais il rencontre Heidegger sur son chemin. Voilà un autre genre de phénoménologue. Sartre part de l'expérience humaine de vivre, une vie individuelle, irréductiblement concrète et se battra toute sa vie contre l'aliénation de l'être de l'homme à l'Être, abstraction suprême. L'existentialisme prend le contre-pied de l'essentialisme, dont la pensée de Platon est l'archétype, celle de Heidegger l'achèvement ultime.

Les heideggeriens, acharnés, comme il y en a beaucoup en France, hallucinés, ne reconnaîtrons jamais cette critique, très simple au fond, trop simple ? Heidegger prétend dépasser la métaphysique en surenchérissant sur l'abstraction qui est le procédé métaphysique par excellence. C'est absurde, et risible, quand on y pense... Mais que doit faire un humain, concrètement, pour trouver grâce aux yeux de l'Être ? Poser ainsi la question nous fait voir, il me semble, immédiatement son absurdité. Sartre parle d'une totalisation, ou synthèse d'enveloppement, qui n'est jamais totalitaire, ou achevée.

Mais comme Marx reconnaissait que la dialectique idéaliste de Hegel digérait pas mal de matériel, Sartre admet que l'essentialisme de Heidegger ingère passablement de concret et décrit, thématise (fait entrer dans le domaine du commentaire philosophique) des pans entiers de l'expérience de vivre de l'homme moderne, aux prises avec la déshumanisation par la technique et la lancinante question du sens (de tout ceci, de la vie, de cette civilisation affolée qui ne s'organise pas pour durer...

Mais revenir au passé, retrouver une sorte authentique de "donation originaire" du "sens de l'Être" n'offre pas une solution intéressante ou progressiste, pour Sartre. Il reconnaît l'homme comme "condamné à la liberté", c'est-à-dire contraint d'inventer ses nouveaux chemins et pour cela il faut s'entendre et s'organiser pour construire l'avenir. L'être pour-soi, spontanément individualiste, devient collectiviste pour proposer et collaborer (à) des solution crédibles aux problèmes exacerbés.

Alors, pour bien lire Sartre, première chose, il faut se méfier des abstractions. À leur propos, Sartre se veut le plus simple possible, et tranchant. Comme pour Nietzsche, chez lui il n'y plus de place pour des "arrière-monde". Tout ce dont il s'agit est là, sous nos yeux, ou donné de quelque manière. Le pour-soi est mon expérience. Sartre nous invite toujours à vérifier en nous-mêmes pour sentir la véracité (ou non) de sa démonstration. Il se lance à la recherche de l'être, il découvre le néant, il cherche la durée, il trouve le temps fuyant, évanescent, complexe, problématique (les trois extases temporelles, etc.) il cherche la vérité et il tombe sur la liberté. C'est l'angoisse.

Il refuse la mauvaise foi, la complicité malsaine, il ne prend rien pour acquis. Sa réflexion apparemment théorique (truffée de notions et de concepts) est pétrie de morale. Il exige de son lecteur un engagement envers la recherche de la vérité en même temps qu'un parti-pris envers la solidarité humaine. Puisque la vérité n'est pas donnée, jamais toute faite (dogmes et religions sont à ce titre nuls et absolument non pertinents) il nous faut, humains, la faire ensemble, prouvant ainsi, du même coup, la vérité de notre être.

Je te lance ça comme ça me vient, ne sachant pas encore ce que tu veux savoir. En tout cas, prérequis: connaissance de base de la phénoménologie, comme méthode d'investigation de l'expérience. Ensuite, attention soutenue, une certaine culture littéraire on va dire classique est aussi utile sinon tout à fait nécessaire (Sartre fait constamment allusion aux grands auteurs, pas seulement français) goût de la réflexion, souplesse dialectique, ouverture au monde (compassion) et passion pour la liberté ou la vérité : finalement ces deux notions reviennent au même chez Sartre : quête infinie, ouverture, remise en question et critique perpétuelle. Interroge ton expérience.

Je te remercie de m'avoir fourni cette occasion de réactualiser ma perception de Sartre, l'homme, le penseur, déjà largement méconnu aujourd'hui. Si tu veux en savoir plus, il faudra m'en dire plus.

Tu peux aussi questionner ou commenter sur mes blogs, celui-là, dont je pense à changer le titre, ou sur les autres, selon ta fantaisie. J'utilise 6 blogs en fait, dont tu peux suivre les liens sur "Prégnances...

Alors, salut ! Bon courage et à bientôt, peut-être. Bien connaître Platon est un excellent point de départ. Je ne connais pas bien Schopenhauer, seulement ce qu'en dit Nietzsche. Mais en tout cas il ne suffit pas de lire, il faut aussi savoir réfléchir, se questionner en soi-même, sur soi-même. Question d'ouverture, disponibilité et talent, aussi.

Jacques Perreault

mercredi 1 décembre 2010

-------------- Attitude interrogative ? --- Angoisse ?

Questionner, se mettre en quête, sortir de soi, c’est l’errance. Peut-être sera-t-elle sans fin ? Questionner c’est errer, se mettre de travers, se fourvoyer dans l’erreur. À moins que la question revienne sur soi, opère un retour chez soi, sur elle-même, que la question porte sur elle-même, sur son être et sur l’être qui la porte, sur l’être du questionneur. Le questionneur se questionne sur son être, qui n’est pas essentiellement l’être de la question, puisqu’il réalise bientôt qu’il n’aurait jamais dû sortir de chez soi. Là où commence l’errance, virtuellement sans fin, de par le monde, par les premiers pas de la connaissance.

Ni la question ni l’angoisse qui me jette hors de moi, me fait courir les routes, de la douleur et de la peur, du besoin et du profit, les chemins sans fin de l’intérêt ; ni la question ni l’angoisse ne touchent à l’essence de mon être. Cette liberté qui se questionne et qui s’angoisse, elle est toute intérieure, immanente. Elle est à la source, non-savoir et par là même essence immédiate et pleinement réelle, être véritable.

La question de l’être est une duperie. La liberté qui s’angoisse, un épouvantail. La liberté qui reste chez elle réalise qu’elle ne s’était jamais quittée. Seulement peut-être un peu oubliée, de ci de là, dans des pérégrinations imposées, comme des épreuves qui ne prouvent rien. À l’épreuve de soi-même seulement l’on s’aperçoit que l’on a erré. Fini le temps errance, voici venu l’ivresse joyeuse qui demeure.