dimanche 27 décembre 2009

L'année dangereuse

En 2009, redécouverte de l'Amour. Je l'écris avec un grand "a" : A. Oui. En fait, je me réveille un peu étonné d'être encore en vie.

2010 sera pour moi l'année de tous les dangers, peut-être aussi, mais j'y crois déjà moins, l'année de tous les possibles... C'est parce que je vis sans amour depuis plus de dix ans que je suis un peu étonné d'être encore en vie. Cela témoigne d'une sorte de résistance particulière. Je me demande s'il y en a beaucoup d'exemples. Probablement, mais ils ne vont pas le crier sur les toits, alors on ne les rencontre pas dans les rues. Les résistants au manque (absolu) d'amour, c'est grave : habituellement ils ne font pas de vieux os.

Freud disait que lorsque l'on est pas aimé, et lorsque l'on n'aime pas, on devient malade et on meurt. Il n'avait pas précisé le rythme ni la vitesse du processus. D'autres me disent que comme toute charité bien ordonnée qui doit bien commencer par soi-même, pour trouver la chance de rencontrer l'amour, quelque part, en dehors de soi, il faut d'abord l'avoir en soi et l'éprouver sainement pour soi-même. Cela semble bien facile dit comme ça. Il me semble que c'est un plus vaste problème et j'y reviendrai. C'et pour le moment ici juste un petit coup d'envoi sur cette question, trop souvent grave car elle devrait être légère et douce, ou alors forte comme la Joie, fondamentale, note majeure de l'univers (rien de moins...

lundi 7 décembre 2009

Application

Des exemples psychologiques font entrevoir qu'une crainte exagérée ou phobique à l'égard du "devoir vivre" est liée, de façon générale, à des peurs souvent insupportables et relatives à l'expressivité corporelle, voire aux craintes de se mouvoir librement et de se révéler par des gestes. La raison d'un tel "comportement" est facile à comprendre sur la base de l'autoaffection originaire en sa manifestation phénoménologique esquissée. Car l'angoisse, comme sentiment fondamental de l'existence et de la vie, englobe, d'une part, les craintes qui ont pour objet les possibilités imprévisibles de mon être corporel, par exemple en tant que sexualité, et, d'autre part, cette même angoisse est l'expression essentielle ou ontologique de notre passibilité de naître dans la vie sans distance ou fuites possibles. C'est exactement cette dernière épreuve d'appréhender son Soi à nu, d'en faire l'expérience jusqu'au paroxysme de l'angoisse en son désespoir traumatisant qui définit l'autoaffection charnelle par laquelle je me "connais" comme un être vivant, mais sans protection derrière une image ou représentation ob-jectivantes. Ce qui vient d'être dit de l'angoisse est également vrai pour la joie et le bonheur en leur jouissance sans bornes, ce qui se trouve développé ailleurs. Car il s'agit à chaque fois d'une expérience qui se situe en-deçà d'une sensation ou d'un sentiment déterminé, comme Kierkegaard l'a bien vu du pathos du désespoir et du "saut par la foi" dans son Traité du Désespoir souvent repris par Michel Henry, et c'est la raison pour laquelle la corporéité charnelle ne peut jamais faire partie des objets qui se dessinent ou se projettent sur un horizon temporel d'objectivité intentionnelle. La corporéité est ainsi la modalité phénoménalisante originaire par laquelle la vie devient l'autoaffection ontologique d'un Moi individuel, ou mieux encore : la manière dont ce moi vivant est sa propre chair ipséisée, sans jamais pouvoir en former une idée adéquate par abstraction.
Il y a, par suite, deux traits essentiels qui caractérisent la structure phénoménalisante de l'auto-affection et qui forment une unité matérielle ou substantielle en procédant l'un de l'autre. La passibilité d'être lové à une vie inexorablement en tant que moi charnel se manifeste d'abord sur le plan de l'angoisse, puisqu'il s'agit, en cette situativité absolument radicale, d'un lien qui m'attache à la vie sans autre recours possible, et cela à cause de cette identité entre le Moi que je suis et la corporéité charnelle que je suis en même temps, à savoir en tant que moi singulier justement qui s'éprouve toujours d'une manière déterminée. Mais cette angoisse se transforme en joie qui est la totalité affective "corrélative" sur le plan transcendantal, lorsque les potentialités de la vie s'annoncent et s'affirment comme un pouvoir en croissance ou en expansion, ce que Spinoza a bien vu par le conatus comme puissance immanente relatant de la substance éternelle. Tous les autres affects, pulsions et sentiments s'édifient sur cette polarité, oscillations fondamentales et y reconduisent sans faille, car la souffrance, en tant que réceptivité pure de la vie, implique -- sans arrachement possible et avec une certitude absolue -- que cette vie reste une vie donnée et donnante qui se réjouit d'elle-même comme jouissance phénoménologiquement identique en toute sensation particulière.

vendredi 20 novembre 2009

La seconde naissance

In C'est moi la vérité -Pour une philosophie du christianisme, p. 192

Le christianisme se donne pour but explicite de permettre à l'homme d'assurer son salut. Selon ses intuitions décisives, ce salut consiste pour l'ego à retrouver dans sa propre vie la Vie absolue qui ne cesse de l'engendrer. Dans ce projet général sont impliquées deux démarches. Il s'agit d'abord pour l'ego/homme perdu dans le monde, ne se rpéoccupant que des choses et ne pensant à soi que dans ce rapport aux choses -- "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses... " (Luc 10,11) --, de s'apercevoir au contraire dans sa condition véritable, celle d'un vivant qui ne tient cependant jamais de lui-même sa condition de vivant. L'homme véritable, on l'a assez montré, n'est pas l'individu empirique aperçu dans le monde, c'est le moi transcendantal qui s'éprouve constamment comme vivant, comme cet ego qui mène la vie qui est la sienne sans être jamais a source de cette vie. C'est pouruqoi iil l'éprouve précisément dans cette passivité radicale propre à toute vie qui ne s'apporte pas elle-même en soi. Vivre comme un moi transcendantal vivant, donné à soi dans une vie qui ne se donne pas elle-même à soi, mais qui est donnée à soi dans la donation à soi de la Vie absolue qui est celle de Dieu, telle est la définition chrétienne de l'homme, sa conditions de Fils. Cette condition de l'homme comme Fils est précisément ce qui permet son salut. Que l'homme fasse l'épreuve en lui de cette Vie absolue qui n'a ni commencement ni fin, qu'il coïncide avec elle, et lui non plus, il ne connaîtra pas la mort.

vendredi 6 novembre 2009

Deux concepts de l'auto-affection

Dans C'est moi la vérité - pour une philosophie du christianisme, Michel Henry (éd. du Seuil, mars 1996, p. 135 à 137) se pose le problème d'une co-existence, en quelque sorte, de statuts (1) fils de la vie en tant que moi transcendant vivant "que je suis moi-même", d'une part, et 2) l'Archi-Fils, dont la figure du Christ est l'index et l'emblême, d'autre part, et enfin 3) l'essence phénoménologique de cette Vie absolue, soit Dieu lui-même, et cette co-existence doit être expliquée et décrite. Michel Henry le fait en proposant deux concepts de l'auto-affection, soit un concept fort et un concept faible, relativement l'un à l'autre.

Distinguons un concept fort et un concept faible de l'auto-affection. Selon son concept fort, la vie s'auto-affecte en un double sens -- en ceci que, d'une part elle définit elle-même le contenu de sa propre affection. Le "contenu" d'une joie, par exemple, c'est cette joie elle-même. D'autre part, cependant, la vie produit elle-même le contenu de son affection, ce contenu qu'elle est elle-même. Elle ne le produit pas à la manière d'une création extérieure jetant le créé hors de soi, comme quelque chose d'autre, d'étranger -- d'extérieur. Précisément elle ne le crée pas -- le contenu de la vie est incréé. Elle l'engendre, elle se donne à elle-même ce contenu qu'elle est elle-même. C'est la façon dont la vie se donne à elle-même ce contenu qu'elle est elle-même qui importe. Cette auto-donation qui est une auto-révélation est une affectivité transcendantale, un pathos en lequel tout s'éprouver soi-même est possible comme pathétique précisément, comme affectif dans le tréfonds de son être. Pour passive que soit cette épreuve que la vie fait constamment d'elle-même dans son étreinte pathétique, elle n'en est pas moins produite par la vie elle-même et c'est cette génération par soi de la vie qu'indique le concept fort de l'auto-affection. Selon ce concept donc, la vie est affectée par un contenu qui est elle-même, et c'st elle, de plus, qui pose ce contenu par lequel elle est affectée -- elle qui affecte, qui s'affecte. Ce concept fort de l'auto-affection est celui dela phénoménologie absolue et ne convient qu'à elle, c'est-a-dire à Dieu.

Moi, au contraire, Moi transcendantal vivant, je puise moi aussi mon essence dans l'auto-affection. En tant que moi, je m'affecte moi-même, je suis moi-même l'affecté et ce qui l'affecte, moi-même le "sujet" de cette affection et son contenu. Je m'éprouve moi-même, et cela constamment, pour autant que ce fait de m'éprouver moi-même constitue mon Moi. Mais je ne me suis pas apporté moi-même dans cette condition de m'éprouver moi-même. Je suis moi-même mais je ne suis moi-même pour rien dans cet "être-moi-même", je m'éprouve moi-même sans être la source de cette épreuve. Je suis donné à moi-même sans que cette donation relève de moi d'aucune façon. Je m'affecte et ainsi je m'auto-affecte, c'est moi, disons-nous, qui suis affecté et je le suis par moi en ce sens que le contenu qui m'affecte, c'est encore moi -- et non quelque chose d'autre, le senti, le touché, le voulu, le désiré, le pensé, etc. Mais cette auto-affection qui définit mon essence n'est pas mon fait. Et ainsi je ne m'affecte pas absolument mais, puor le dire avec rigueur, je suis et je me trouve auto-affecté. Ici se découvre à nous le sens faible du concept d'auto-affection, celui qui convient à la compréhension de l'essence de l'homme, non à celle de Dieu.

Comment se rapportent l'un à l'autre le sens faible et le sens fort du concept d'auto-affection ? Comment le premier renvoie-t-il nécessairement au second de façon à se fonder sur lui ? En ceci que le Soi singulier que je suis ne s'éprouve lui-même qu'à l'intérieur du mouvement par lequel la Vie se jette en soi et jouit de soi dans le procès éternel de son auto-affection absolue. Le Soi singulier s'auto-affecte, il est l'identité de l'affectant et de l'affecté mais il n'a pas posé lui-même cette identité. Le Soi ne s'auto-affecte que pour autant que s'auto-affecte en lui la Vie absolue. C'est elle, dans son auto-donation, qui le donne à lui-même. C'est elle, dans son auto-révélation, qui le révèle à lui-même. C'est elle, dans son étreinte pathétique, qui lui donne de s'étreindre pathétiquement et d'être un Soi.

Ainsi s'éclaire la passivité de ce Soi singulier que je suis, passivité qui le détermine de fond en comble. Passif, il ne l'est pas seulement à l'égard de lui-même et de chacune des modalités de sa vie, à la façon dont chaque souffrance est passive vis-a-vis de soi et n'est possible qu'à ce titre, ne tenant sa teneur affective que de cette passivité dont la teneur phénoménologique pure est l'affectivité comme telle. Passif, le Soi l'est d'abord à l'égard du procès éternel de l'auto-affection de la Vie qui l'engendre et ne cesse de l'engendrer. Cette passivité du Soi singulier dans la Vie, c'est elle qui le met à l'accusatif et fait de lui un moi et non un je, ce Soi qui n'est passif vis-à-vis de soi que parce qu'il l'est d'abord à l'égard de la Vie et de son auto-affection absolue.


Je suis conscient que par le choix de suivre l'itinéraire de pensée de Michel Henry plutôt et de préférence à celui de tout autre, nous progressons vers une théorie du sujet, en effet, mais dans le dessein de l'inscrire dans la référence à une continuité difficile conceptuellement, mais auto-évidente lorsque je convoque avec Michel Henry, le souvenir des dits et écrits de Maître Eckhart.

Il faut dire aussi que cette théorie et conception du sujet est, en fait, une pratique, un exercice que nous voudrions transparent et non seulement lucide, mais aussi translucide de la subjectivité, puisqu'il s'agit de voir à travers les apparences du monde des apparitions, vers un horizon transcendant au monde (tous Univers et multi-vers et Êtres confondus) mais qui rejoint cependant exactement ici l'immanence radicale en sa prégnance. Ici et maintenant je constate mon pouvoir de convoquer la Vérité qui est celle de la Vie et qui est au-delà de tout considération de monde.

mardi 27 octobre 2009

Michel Henry

Plus je lis les livres de Michel Henry et plus je comprends pourquoi je dois me trouver d'accord avec lui. Mais comme mon processus en est un d'absorption lente, je vais, procédant par citations parfois longues, en faire profiter l'éventuel lecteur qui ainsi sera en mesure de se faire sa propre idée. Ma conclusion provisoire est que je crois avoir trouvé, avec le grand philosophe français qui nous a quitté en 2002 la position philosophique qui me permet enfin de dépasser Heidegger et de le situer à sa juste place dans l'histoire de la pensée.

Le livre publié en 1996 au titre provocateur Je suis la vérité me sert d'amorce pour publier mes cartouches. Le sous-titre en est bien "Pour une philosophie du christianisme" et il faut d'abord accepter de jouer le jeu, c'est-à-dire passer outre au jugement historial de dire qu'il était en soi impropre de parler d'une philosophie chrétienne. Dans les milieux philosophiques sérieux, soit universitaires, cette locution a aussi bonne presse que celle de quadrature du cercle. Oui, le cercle carré fait les gorges chaudes dans toutes les facultés.

Mais je regarde ce passage sur Heidegger et je me dis, c'est de loin que nous avons manqué le bateau.

Si l'on considère la somme des carences de la pensée occidentale relatives à la question de la vie, on peut en trouver un exemple significatif au terme de l'histoire de cette pensée dans la philosophie de Heidegger. Et cela non par hasard s'il est vrai que, en dépit de sa critique réitérée de l'histoire de la métaphysique occidentale et de son effort pour y mettre fin, la phénoménologie heideggerienne n'a fait que reconnaître, penser pour elles-mêmes et porter à l'absolu les présuppositions phénoménologiques qui conduisent ou, pour mieux dire, qui égarent cette pensée depuis ses origines. En dévoilant inexorablement et de façon géniale les implications du concept grec du phénomène, ces présuppositions conduisent à la vérité du monde saisie dans sa pureté. Que cette phénoménologie ne soit pas celle des choses mais plutôt celle du néant, non celle de ce qui se montre mais plutôt de l'"inapparent", voilà qui, loin de nous détourner du monde et de son "éclaircie", ne se soucie de rien d'autre que de l'événement originel en lequel cette éclaircie se produit.


Michel Henry reconnaît la valeur du travail énorme de Heidegger qui a su désocculter la source de la pensée occidentale en ce qui a trait au monde de la vérité.

En ce qui concerne la question de la vie, les conséquences immédiates de ces présuppositions sont accablantes. Le première est de ne rien savoir d'un mode de révélation autre que celui en lequel advient l'éclaircie du monde. La vie n'a pas d'existence phénoménologique si nous entendons par celle-ci un mode spécifique de phénoménalisation de la phénoménalité pure. L'inexistence phénoménologique de la vie en ce sens radical reconduit à la substitution ci-dessus dénoncée et qui a été reconnue comme l'un des traits les plus constants de la pensée occidentale : la substitution à la vie du vivant dénommé l'étant vivant. Assurément cet étant présente des caractères différents de ceux d'un étant quelconque, il a un sens d'être particulier. Comme tout étant cependant, il tient son être que de sa qualité de phénomène. Comment se montre à nous l'étant vivant, comment y avons-nous accès et, de cette façon, comment avons-nous accès à la vie qui ne se montre à nous que sous la forme de cet étant, c'est la question que pose et à laquelle répond Sein und Zeit : "La vie est un genre d'être particulier mais par essence elle n'est accessible que dans le Dasein." (p. 50)
Étant donné que le Dasein qui veut définir l'essence de l'homme est essentiellement ouverture au monde, être-au-monde, In-der-Welt-sein, il s'ensuit que la vie n'est accessible que dans la vérité du monde. La vie n'est pas la vérité. Elle n'est pas, en elle-même et par elle-même, pouvoir ou mode de phénoménalisation. La vie n'est pas ce qui donne accès à, ce qui fraye un chemin -- ce qui montre, ce qui rend manifeste, ce qui révèle. La vie n'est pas le chemin qu'il faut suivre si l'on veut parvenir à ce qui fait l'être-essentiel de l'homme, sa réalité véritable. La vie n'est pas non plus le chemin qu'il faut suivre si l'on veut parvenir jusqu'à elle. Ce n'est pas la vie qui donne accès à elle-même. C'est parce qu'elle n'est pas un pouvoir de révélation qu'elle n'est pas non plus ce qui donne accès à elle-même, ce qui se révèle -- qu'elle n'est pas auto-révélation. Si le vivant parvient à la vie, s'il entre dans la condition de vivant, ce n'est pas grâce à la vie. C'est seulement parce qu'il est ouvert au monde, en relation avec la vérité du monde et défini par cette relation que l'homme se rapporte à lui-même. Mais c'est pour la même raison qu'il se rapporte à la vie. Si ce n'est pas en tant que vivant que l'homme a accès à la vie, ce n'est pas non plus en tant que vivant qu'il sait ce qu'est la vie. C'est uniquement dans la mesure où il est ouvert au monde qu'il se rapporte et peut se rapporter à des étants vivants -- à la vie. Cette somme d'aporie n'est pas propre à la pensée de Heidegger ; elle résulte de la présupposition phénoménologique selon laquelle se monter veut dire se montre en un monde, dans la vérité ek-statique de son "au-dehors".
C'est parce que la vérité est réduite à celle du monde, à son horizon de visibilité que, dépouillée de la vérité du pouvoir de révéler, la vie se trouve elle-même réduite à quelque chose qui se monte dans la vérité du monde, dans l'éclaircie de son "au-dehors" -- à un étant. La confusion ruineuse de la Vie avec un étant vivant, résulte directement de la carence phénoménologique de la pensée occidentale, de son impuissance permanente à penser la Vie comme vérité et, qui plus est, comme l'essence originelle de cell-ci. Ce qui est vrai des organismes vivants em tamt qiÉpbjectivités empiriques apparaissant dans le monde selon le mode d'apparaître propre à ce dernier, est attibué sans autre forme de procès à la vie elle-même. Son auto-révélation intérieure dans la Vie une fois éliminée, la manifestation du vivant n'est plus rien d'autre en effet que son apparition extérieure sous forme d'étant ou d'organisme vivant doué de ce "genre d'être" particulier qu'est devenue la vie réduite à des propriétés empirique de cet étant et définie à partir d'elles.
Or une telle réduction, de semblable en apparence à la réduction galiléenne et n'ouvrant comme celle-ci qu'à des phénomènes mondains, en diffère totalement. La réduction galiléenne n'a dans son principe qu'une signification méthodologique : elle laisse hors de son champ d'intérêt la question phénoménologique décisive de savoir s'il existe un mode de révélation autre que celui où se donnent à nous les phénomènes du monde. C'est à la négation radicale d'un tel monde de révélation que procède la pensée heideggerienne. Si un tel mode de révélation, en tant qu'auto-révélation étrangère à l'"au-dehors" du monde, est constitutif de l'essence de la vie, alors sa négation ne signifie rien de moins que l'impossibilité de toute forme de vie, et ainsi son meurtre non pas accidentel mais principiel.
C'est donc l'affirmation que la vie est du moins "un genre d'être particulier" qui fait problème. Significatif est l'embarras de Heidegger est le fait que son approche de la vie est contrainte de suivre des voies différentes.Dans la mesure où notre accès à la vie relève du Dasein et se fait dans le monde, la problématique philosophique de la vie ressemble plus qu'elle ne le voudrait à la démarche scientifique. Ce sont bel et bien des organismes vivants considérés de l'extérieur, les processus objectifs dont ils sont le siège qui fournissent à l'analyse sa matière, qui lui imposent sa méthode. Tout comme le biologiste, le philosophe chisit alors les organismes les plus simples, des animaux protoplasmiques univellulaires, puor esquisser par exemple une thjéorie de l'organe dont la visée n'est pas si différente de celle de la science. Bien plus, c'est à la science, à la biologie de son temps que Heidegger emprunte alors les connaissances à partir desquelles il s'efforce de construire sonn interprétation de la vie. Qu'une telle interprétation dispose, en ce qu concerne certains problèmes, de concepts plus élaborés empruntés à l'analytique du Dasein, elle n'échappe pas pour autant à l'aporie sous laquelle tombe la science elle-même : n'est-il pas paradoxal pour qui veut savoir ce qu'est la vie d'aller le demander aux infusoires, dans le meilleur des cas aux abeilles ? Comme si nous n'avions avec la vie que ce rapport tout à fait extérieur et fragile avec des êtres dont nous ne savons rien -- ou si peu de choses ! Comme si nous n'étions nous-mêmes des vivants !

mardi 28 juillet 2009

invisible, imperçu... inaperçu

Une chose est sûre, une théorie de la subjectivité ne pourra jamais faire l'économie d'une sérieuse et profonde explication avec la découverte de l'inconscient.

Merleau-Ponty avait commencé à s'en rendre compte avant la fin abrupte de sa vie. Il est parti d'un malaise face aux oppositions tranchées d'un Sartre pour éprouver de plus en plus l'insuffisance des philosophies de la conscience.

Dur de travailler profond et concentré dans la chaleur d'été, qui m'affecte tout particulièrement. Force m'est d'avouer que je préfère, pour tout jour, l'hiver. En quoi je suis un vrai Canadien.

Je vais lire du Merleau-Ponty et vous communiquer bientôt mes conclusions. Je commence à croire que la phénoménologie est une sorte, relativement bénigne, de psychose de professeurs universitaires.

Heidegger est un salaud, en tout cas, qui me sort par les trous de nez. Je sais que je devrai, là-dessus, mieux m'expliquer.


(élaboration à venir prochainement)

vendredi 17 juillet 2009

Meschonnic sur Heidegger

Dans Le langage Heidegger (PUF écriture, 1990), p. 47-48.

>>L'essentialisation tient ensemble le poème avec le politique. Héros de la pensée, anti-héros dans le privé. Heidegger file l'oxymore. Il est une oxymore. (...) Rationalité englobante, substitutive, élusive, permettant l'alléguer le politique sans s'y commettre directement, au lieu du rapport direct au politique affronté par Sartre, l'essentialisation permet de tenir ensemble tous les contraires dans la position la plus confortable, celle de la supériorité. Avec les aires de la modestie la plus humble. Voyez Qu'appelle-ton penser ? Le plus grand narcissisme. Participer au mystère de l'Etre. A la fois la pensée, et le dépassement de la philosophie. Qui passe aussi par son dénigrement et sa dénégation. D'où, à la française, un débordement de la philosophie. Et dans le discours littéraire, des mélanges, qui sont toute l'époque.

>>L'effet Heidegger à la française a tenu aussi à la conjonction, propre à la France, des effets Blanchot, Barthes, Lacan. Et Saint-John Perse. Ils ont communié dans une sacralisation de l'écriture, une dénégation du métalangage, une prosopopée de la vérité, celle-ci placée dans l'imitation de l'origine, chez Lacan et la suite, par le jeu des mots. Poétisant la philosophie. Faisant du diffèrement l'exercice du questionnement. Pendant que la poésie était devenue poésie de la poésie; le roman, roman du roman; le cinéma, film du film. L'effet Heidegger s'est fondu à ces effets de langage et de culturel. Il y a contribué, comme eux s'en renforçaient. Le ludique a remplacé la recherche de la vérité. Les formes à la française du jargon de l'authenticité.

>>Que depuis quelque temps l'éthique redevienne à la mode montre, dans la confusion inévitable, la mêlée -- personne n'est au-dessus -- que l'époque change. Le sujet, que Heidegger empêche de penser, que le structuralisme empêchait de penser, revient avec d'autant plus de force.

>>Les effets d'amplification des médias sont aussi des fixations, en plus qu'ils sont des vulgarisations. Fixation de ce qu'il est est reçu d'entendre, de lire, de voir. Pas de lieu pour le reste. Les épigones s'accrochent aux positions acquises. Ils ont plus à perdre que le héros éponyme. Puisque par eux-mêmes ils ne sont rien. Dès qu'on veut penser ailleurs, ils crient qu'on va cesser de lire Heidegger. Cesser, non , mais lire autrement.

>>Entre-temps, se sentant menacés, les disciples essayaient de se rassurer. Publiaient et republiaient que rien n'avait changé. Gadamer aussi continue la même pensée de la technique. Tient à sauver du nazisme "un homme excellent comme Heidegger" (dans le compte-rendu du "Colloque" de Heidelberg qui réunissait Derrida, Lacoue-Labarthe et Gadamer. Ni Bourdieu, ni Farias n'étaient présents, Le Monde, 9 février 1988, p. 18.). Or maintenir la "question de la technique" dans son état Heidegger, c'est maintenir tout Heidegger. Et sa pensée du national-socialisme. Heidegger ne se monnaye pas.<<

jeudi 9 juillet 2009

La leçon de Merleau-Ponty

Il serait peut-être intéressant de revenir à la pensée de Maurice Merleau-Ponty. Je ne l'ai jamais beaucoup lu. J'avais exécré, quand je l'avais lue au début des années 80, sa critique, à mes yeux injuste, du radicalisme politique de Sartre dans Les aventures de la dialectique.

Mais c'est un phénoménologue français important et qui a fait école ; et sa pensée se retrouve encore aujourd'hui peut-être un peu mieux enracinée dans les études universitaires que celle de son rival de naguère et pourtant jadis camarade et compagnon de combat.

--"Si le désaccord avec Sartre perce déjà par endroits avant la publication de L'Être et le Néant, et devient plus manifeste dans les pages de la Phénoménologie de la perception consacrées à la liberté, ce sont surtout les inédits de la fin des années quarante qui préparent la sévérité et les audaces d'une critique qui éclatera au grand jour à partir des Aventures de la dialectiques." (*)


Ce désaccord porterait essentiellement sur le statut du néant. Chez Sartre les oppositions apparaissent nettement tranchées, prélude à un combat éternel, dans le style des Blancs et des Noirs aux échecs, source d'empoignades infinies... Merleau-Ponty, dans son opposition de plus en plus affirmée, affirmative, élabore la notion de la chair, qui, selon lui, incarne comme tourments et empiètements, les oppositions qui semblent ultimes pour la conscience rationaliste du moi mais qui sont médiatisées et dépassées positivement dans le flot de la vie personnelle.

Il ne suffit pas de dire que le néant surgit porté sur l'être, comme le fait Sartre, pour échapper à la critique d'essentialisme et d'intellectualisme, voire d'idéalisme, mais il faut aussi montrer comment ces néantisations circonstancielles se produisent du sein même de l'être-au-monde et de l'expérience d'être, dans la substantialité à la fois active et passive de la chair, notion donc qui tente de saisir tout le domaine éprouvé et senti de l'incarnation, dernier mot de la corporalité ou corporéité ? Comment mieux expliquer la sensation d'être un corps ?

L'enjeu est de taille au niveau d'une propédeutique philosophique de la question du sujet parce que le soupçon se fait jour que la dialectique serait, en tant que logique de la contradiction, c'est-a-dire des affrontements contradictoires, qui ne sont qu'exceptionnellement les problèmes cruciaux de la vie, soit dans le domaine humainement délimité par l'histoire, tout à fait inapte à faire progresser l'investigation dans le domaine de l'ontologie.

Le deuxième Sartre, en rompant avec la tentative de l'ontologie phénoménologique, aurait pris acte de cela, dans CRD. L'organisme pratique, support de la praxis, n'est pas le pour-soi de EN et est incommensurable avec lui.

La liberté, dans le domaine de l'incarnation, spécialité sensible de la situation de corporéité matérielle, serait l'expérience et les limites d'un pouvoir-être autrement et qui du sein de l'être pourrait néanmoins apporter du changement. En corollaire, on ne peut pas sensiblement parler de l'amour dans la logique oppositionnelle du moi rationaliste et donc volontariste.
___________________
* in Maurice Merleau-Ponty, Hermann éditeurs, Philosophie, 2008, 458p., citation tirée de l'Introduction par Emmanuel de Saint Aubert, p. 11, note 2. "Tout se passe ainsi comme si sa lecture de Descartes entrecroisée avec celle de Husserl et de Heidegger (...) avait destiné Merleau-Ponty à tenter d'établir, sur le terrain même de la philosophie, la primauté de "l'usage de la vie" sur les dichotomies établies par l'entendement." id. p. 88 (Le soi incarné -Merleau-Ponty et la question du sujet, par Maria Villela-Petit, pp. 79 à 123).

lundi 29 juin 2009

Sloterdijk et Heidegger

Habituellement Sloterdijk est assez clair dans son appréciation du travail de Heidegger, dont il est un des meilleurs connaisseurs. Il départage, au fil de ses écrits, les idées qui l'inspirent encore de celles qu'il critique et dépasse. Il est assez net aussi sur les aspects de l'œuvre de Heidegger qu'il rejette et condamne sans ménagements.

Si Sloterdijk est un "disciple de Heidegger", comme le mentionnait M. Jean-Marc Lemelin dans un message au billet "Difficile collaboration..." (cf. ci-dessous) alors il faudrait constater encore une fois que le disciple a dépassé le maître.

L'impression que je retire, en fait, de ce que je connais de ses écrits et entretiens c'est que Sloterdijk pense plus dans le prolongement des questions soulevées par Nietzsche que dans le cadre du dispositif hedeggerien. Et ce questionnement fait éclater le cadre dans plusieurs de ses aspects essentiels.

Pour le moment je ne vais examiner que l'exemple de ce texte, initialement écrit pour une conférence, et qui a soulevé une polémique en Allemagne qui grandit au point de devenir un morceau d'anthologie des malentendus. Et cela n'est pas le propos aujourd'hui de se moquer du vieil Habermas qui, drapé dans les reliques trouées de ce qui reste de la Théorie critique, se déconsidère par son manque d'imagination et crampe de gauche bienpensante à l'indignation sclérosée de vierge offensée : vieille fille.

Mais c'est un texte, paru en français sous le titre Règles pour le parc humain -une lettre en réponse à la Lettre sur l'humanisme de Heidegger, qui est la traduction littérale du titre allemand Regeln für den Menschenpark Ein Antwortschreiben zu Heideggers Brief über den Humanismus qui parle dans la perspective de l'anthropogenèse et qui se rapporte aux postures des deux penseurs sus-nommés. Nietzsche et Heidegger, bien sûr. Et je ne trouve en rien fastidieux d'écrire ces deux noms côte-à-côte une fois de plus.

Comme ses propos sont difficiles à résumer, puisqu'il y a tout de même ici une certaine densité d'idées et que par ailleurs le style de Sloterdijk, même en français -où il bénéficie du travail d'excellents traducteurs (ici, grâce soit rendue à monsieur Olivier Mannoni)-, produit des effets assez décapants, nous avons choisi de présenter telle quelle une assez longue citation qui illustre parfaitement certaines données de notre problème :

-- "Nous allons, dans les lignes qui suivent, nous éloigner des instructions données par Heidegger sur l'immobilisation dans les figures finales de la pensée méditative en entreprenant une tentative pour caractériser plus précisément d'un point de vue historique la clairière extatique dans lequel l'être humain se laisse interpeller par l'Être. On verra que le séjour humain dans la clairière - en termes heideggeriens, le fait que l'homme se tienne ou soit tenu dans la clairière de l'Être -- ne constitue nullement un rapport ontologique primitif qui ne serait accessible à aucun autre questionnement. Il existe une histoire, résolument ignorée par Heidegger, de la sortie de l'être humain dans la clairière - une histoire sociale de la manière dont l'homme peut être touché par la question de l'être, et une mobilité historique dans l'ouverture béante de la différence ontologique.

-- Il faut parler ici, d'une part, d'une histoire naturelle de l'impassibilité (Gelassenheit), par la force de laquelle l'être humain a pu devenir l'animal ouvert au moinde, capable de "faire face" au monde, et d'autre part d'une histoire sociale de apprivoisements par lesquels les hommes se sont, à l'origine, découverts comme les créatures qui se rassemblent pour correspondre au tout. L'histoire réelle de la clairière - dont doit partir une réflexion sur l'être humain approfondie au-delà de l'humanisme - est donc constituée de deux grands récits qui convergent dans une perspective commune, le récit de la manière dont l'animal sapiens est devenu l'homme sapiens. Le premier de ces deux récits rend compte de l'aventure de l'hominisation. Il raconte comment, dans les longues périodes de la préhistoire préhumaine et humaine, le mammifère vivipare qu'est l'homme est devenu une espèce composée de créatures prématurées qui - si l'on pouvait utiliser un terme aussi paradoxal - se sont présentées dans leur environnement avec un excédent croissant d'inachèvement animal. Ici s'accomplit la révolution anthropogénétique - l'ouverture par l'explosion, la transformation de la naissance biologique en un acte du venir-au-monde. Dans sa réserve obstinée à l'égard de toute anthropologie, et dans sa fièvre de conserver ontologiquement pur le point de départ dans l'être-là et dans l'être-dans-le-monde de l'être humain, Heidegger est loin d'avoir tenu suffisamment compte de cette explosion. Car le fait que l'homme ait pu devenir la créature qui est dans le monde, a des racines dans l'histoire de l'espèce, racines auxquelles on peut faire allusion en invoquant les concepts abyssaux de la naissance prématurée, de la néoténie et de l'immaturité animale chronique de l'être humain. On pourrait aller jusqu'à désigner l'être humain comme une créature qui a échoué dans son être-animal et son demeurer-animal. En échouant comme animal, la créature indéterminée est précipitée hors de l'environnement et acquiert ainsi le monde, au sens ontologique. Ce venir au monde extatique et cette orientation vers l'Être ont été déposés dans le berceau de l'être humain, avec l'héritage de l'histoire de l'espèce. Si l'homme est dans-le-monde, c'est parce qu'il appartient à un mouvement qui l'apporte au monde et l'expose au monde. Il est le produit d'une hyper-naissance qui fait du nourrisson (Säugling) une créature du monde, un Weltling.

-- Cet exode n'engendrerait que des animaux psychotiques si, en même temps que l'avancée dans le monde, n'avait pas eu lieu une entrée dans ce que Heidegger nomme la maison de l'Être. Les langues traditionnelles de l'espèce humaine ont permis de vivre l'extase de l'être-dans-le-monde en montrant aux hommes comment leur être-auprès-du-monde peut aussi être vécu comme un être-auprès-de-soi-même. Dans cette mesure, la clairière est un événement à la limite de l'histoire de la nature et de la culture, et le venir-au-monde humain prend très tôt les traits d'un venir-au-langage."


Alors, qu'est-ce qui ressort de cette longue citation, en surplus de cet enchaînement d'idées et selon notre questionnement ? Bien, d'abord, il ne fait pas de doute que Sloterdijk reconnaît l'importance fondamentale de l'intuition de l'éclaircie pour penser l'anthropogenèse. Heidegger a ouvert à la réflexion tout un nouveau domaine de compréhension de l'être de l'homme.

Heideggerienne aussi est la reconnaissance du véhicule principal du langage.

L'accord continue aussi jusque sur la nécessité du dépassement de l'humanisme rassis. Je tiens, personnellement en réserve la possibilité d'un humanisme tragique ou problématique, ou prospectif, ou dialectique et dynamique, comme on voudra mais je pense au style particulier de l'humanisme de Sartre. Cela peut être un problème, en théorie, mais c'est une figure envers laquelle je conserve toute ma sympathie.

Je retiens aussi la traduction de Gelassenheit par "impassibilité" : nettement plus intéressante que la classique "sérénité", au sourire lisse. Masque. Marilyn suicidée. Oui, Jean-Marc, l'homme est passible mais pas de tous les péchés qu'on veut lui faire porter. Il cherche à vivre avant de s'interroger. Ce sont les conflits et les menaces, la peur, premier mobile, qui la guident, plus souvent que l'amour.

L'histoire récente des guerres est inimaginable sans l'étonnante impassibilité dont l'homme est aussi capable même devant les orages d'acier. C'est une intuition réaliste que Sloterdijk partage encore, je crois, avec Heidegger.

Mais à part ça on voit que, un peut partout, aussitôt en fait qu'il en a l'occasion, le "disciple" se fait fort de donner la leçon au "maître". L'attitude de Sloterdijk envers Heidegger est presque toujours et partout aussi irrévérencieuse que possible. L'honnêteté de la dette intellectuelle ne l'empêche pas de désapprouver l'attitude et de conspuer les compromissions. Il y a de certaines complicités avec lesquelles le camarade Sloterdijk refuse obstinément de se voir confondu. Rien de völkisch dans sa prose.

dimanche 28 juin 2009

Heidegger encore...

"Le don de soi dans l'ouvert au moyen de cet ouvert est l'Être même." Lettre sur l'humanisme, op. cit., p. 87 Le pas en retrait, par rapport à la démarche au long cours de l'histoire de la métaphysique, proposé par Heidegger permet au moins d'attirer l'attention sur la question de la donation (originaire).

Ici, donc, l'Être est caractérisé essentiellement comme "don de soi dans et par l'ouvert". Il s'agit de considérer que l'"Être" donne l'éclaircie comme son être le plus essentiel à l'homme. Dans cette perspective, cela serait imputable à l'"Être" si l'être même fondamental de l'homme doit être d'habiter l'éclaircie de l'Être, ou la clairière (jolie métaphore par laquelle j'entends, mettons, l'ensemble des possibilités de la conscience ou l'univers de l'ensemble des consciences possibles) ou l'ouvert (soit la possibilité même de savoir et d'être au monde, dont conscient : foisonnement de l'ensemble des phénomènes et manifestations humaines qui se détaillent en histoire et cultures, etc.).

"Peut-être le mot "est" ne peut-il se dire en rigueur que de l'Être, de sorte que tout étant n'"est" pas, ne peut jamais proprement "être"." (Ibid. p. 89) C'est à un retournement, à tout le moins de l'attention, que nous sommes conviés puisqu'il s'agirait de se placer dans la perspective où il n'y a que l'"Être" qui soit vraiment et pleinement. Et perspective, le mot est faible, puisque cela serait l'idée, ici suggérée, d'une position en surplomb ou englobante de toute perspective possible, qui ont cours à partir du (ou des) domaine(s) de l'étant.

"L'avoir-lieu de l'histoire déploie son essence comme le destin de la vérité de l'être, à partir de celui-ci (...). L'être accède à son destin, en tant que Lui-même, l'Être, se donne. >(S'impose...?)< Ce qui signifie, pensé conformément à son destin : Il se donne et se refuse à la fois." (p. 91) Comme l'amour d'une femme... Non ! Mais d'une manière à la fois plus impondérable et moins capricieuse. Mais cela à a voir avec l'abri, mise en sûreté du sens dans le langage.

Suit une discussion des thèses de Hegel.

"Ce qui procède de la métaphysique absolue ne saurait être abordé et encore moins éliminé par des réfutations. On ne peut que l'accueillir en tant que sa vérité, ramenée plus originellement à l'Être lui-même, est celé en lui et soustrait à la sphère d'une opinion purement humaine."

On ne peut donc pas réfuter Heidegger. Mais il ne s'adresse qu'à quelques penseurs alors que Sartre, à la fois plus littéraire et libertaire, s'adresse à tous les hommes. Et Heidegger parle de "la lutte amoureuse des penseurs", où il ne s,agit pas d'annulation et de réfutation mais d'accompagner et de prolonger un mouvement de pensée au-delà de sa conclusion ou de son domaine de validité.

Rétrospectivement nous pouvons dire que le destin de Sartre était de susciter une responsabilisation accrue de son historicité par l'homme ; alors que celui de Heidegger serait d'attirer l'attention sur l'arrière-plan de tout ce dont nous avons l'expérience, la donation "originaire" (?) qui rend "tout cela" possible. On ne peut pas réfuter une telle visée ou projet de dévoilement mais on peut lui préférer une autre attitude. D'ailleurs, Sartre pense en tout conscience et je crois lucidement à l'intérieur du domaine ouvert par Heidegger et dans le prolongement de ce dévoilement.

Exil, dériliction de l'homme moderne

Heidegger nous invite à considérer l'Être comme notre patrie d'origine et dont nous aurions été... déportés ? Mais pour autant que nous le sachions en tout cas nous n'avons pas conscience d'avoir jamais habité cette patrie, ni jamais ni à l'origine... L'allégation d'une inconscience ou d'un inconscient, voire de l'inanité de tout cet ensemble de phénomènes que l'on subsume sous la désignation de "la conscience" est irréfutable... car infalsifiable. Improuvable, pas testable ! Il conviendrait donc, à tout le moins, de se méfier...

Il n'est pas question non plus, donc, d'y revenir et l'on ne pourrait pas proprement parler d'un "oubli" de ce domaine ou de cette période, perdu quelque part dans le temps, puisqu'il ne s'agit pas d'une existence passée dans cette patrie dite de l'Être. Pourquoi dès lors, continuer de parler de cet ineffable, de cette origine à jamais inaccessible. Et en quel sens, comme autrement, pourrait-on parler d'oubli ?

Serait-ce le fait d'être tombé dans le temps à partir d'un mode, mais de quoi?, de présence?, d'in-sistance? Et en quel sens "antérieur" au temps ? Problème : une sorte d'aventure nous aurait précipité dans l'oubli, cet oubli de la patrie originelle mais dès lors cachée ? Est-ce une expérience identifiable, chez nous, de ne se sentir nulle part chez soi, en exil insondable ?

Pour le moment tout ce que j'y vois c'est l'affect pathétique, poétique, d'une insondable nostalgie. Comme si l'homme, en sa conscience ou comme un noyau, sa racine, peut-être, sentait qu'il n'était pas d'ici, originaire et habitant ordinaire de ce monde des temporalités et que son destin était de retourner vers l'Éternel...

Mais cela rend un ton exactement biblique. Et c'est ce qui agace, chez les Juifs, par exemple, "le peuple Élu" : ils prétendent avoir LA réponse, révélée à eux, et uniquement par préférence. Élection. Cela n'a pas fini de faire des jaloux, et pas seulement l'Islam, qui est en fait une réaction de contre-révélation. Maturité zéro, genre : mon Père est plus fort que le Tien ! C'est pourquoi il y a une lutte à finir entre ces deux con-traditions.

Mais plus haut, dans cette Lettre sur l'humanisme, p. 77, il était pourtant dit que "L`Etre" -- ce n'est ni Dieu, ni un fondement du monde. Mais alors, qu'est-ce que "c'est" ? Une volonté -par exemple de mise à l'abri du fait d'être?-, une provenance? un affect? une vision? ou encore, un désir!? Humain, trop humain : car toute volonté désire, ô profondément l'éternité. Selon la parole de Zarathoustra.

Est-ce uniquement la modernité qui expérimente cette absence de patrie ? Mais cela serait nouveau, et non pas ancien ou immémorial, que l'esprit ne soit pas rendu à bon port et ne soit pas parvenu à s'assurer de son être. Le déracinement comme mode d'existence, moderne, dans les villes, crée de nouveaux désirs... d'enracinement ?

Difficile liberté. Le destin de la grande majorité des humains est de la fuir comme la peste, la sienne propre, pourtant, unique ou particulière.

jeudi 18 juin 2009

L'immédiation pathétique

Michel Henry, dans l'avant-propos à son livre sur La phénoménologie matérielle se démarque des courants à la mode (parisienne) dont il constate, dit-il, l'effondrement et se penche, par-dessus la tentative heidegerrienne, sur les problèmes de la phénoménologie, qui fournit une méthode d'investigation mais échoue à fonder sa légitimité constitutionnelle. L'effort de Husserl achoppe sur le problème de l'auto-donation, qui ne peut être réflexive, ni représentation, ni perception. Le flux existentiel ne se veut lui-même qu'à grand-peine s'il n'est pas branché sur une source (d'énergie, en quelque sorte) originaire.

"La phénoménologie matérielle est capable de désigner cette substance phénoménologique invisible. Celle-ci n'est pas rien mais un affect ou, pour mieux dire, ce qui rend possible tout affect, ultimement toute affection et ainsi toute chose. La substance phénoménologique qu'a en vue la phénoménologie matérielle, c'est l'immédiation pathétique en laquelle la vie fait l'épreuve de soi -- Vie qui n'est elle-même rien d'autre que cette étreinte pathétique et, de cette façon, la phénoménalité elle-même selon le Comment de sa phénoménalisation originelle."

L'erreur de Sartre est de chercher la solution des problèmes constitutionnels de la phénoménologie husserlienne, celui de la donation originaire dans une dialectique de l'être et du néant. Cette dialectique est pertinente dans le domaine noético-noématique, que recoupe le champ de l'intentionnalité, mais n'a rien à dire sur l'origine de la donation originaire : ni perçu, ni représenté, cet être tout d'abord obscurément pressenti, puis senti et éprouvé, c'est l'expérience faite de l'affectivité qui affleure en émotions et qui forme le socle matériel de notre être, enté sur l'organique, être senti et éprouvé avant de pouvoir même se reprendre et être voulu ; socle sur lequel un combat, une lutte incessante, une tension essentielle fera s'ériger la conscience.

Ainsi, une ontologie phénoménologique est proprement impossible tant que l'on ne s'est pas d'abord assuré de la base matérielle de cet être qui se dévoile, à la racine de toute perception, représentation et conscience : expérience d'être vivant, de respirer, de sentir le sang circuler dans ses veines, sensations et données sensorielles, impressions d'aisance relative ou d'oppression, tensions et rétentions : oxygénation du cerveau pour penser que l'intentionnalité n'est pas le tout même s'il déborde le domaine, somme toute relativement restreint de la conscience.

Un reste de présupposé réaliste chez Heidegger fait de la stimmung une irruption recluse sur l'ontique. Seulement, il arrive que le sujet critique réalise que l'être comme tel lui est inaccessible. Il reste à jamais de l'ordre de la croyance. L'intentionnalité pragmatique, qui se dispute les enjeux du monde, se méfie de tout ce qui se dit à son propos : être au monde, c'est aussi choisir de ne pas adhérer à l'inqualifiable et incertain. Le tournant vers l'être est basculement dans l'ineffable. Mystique mort-née du vingtième-siècle.

C'est dans le domaine de l'étant que les hommes vont tenter de produire, pour continuer de se développer et survivre, comme vivants et comme civilisation, le sens de l'être. Celui-ci englobant tout de dont il est question, peut-être même tout ce qui est digne de question jusqu'à la preuve du contraire --soit, par exemple, la rencontre d'une autre intelligence, voire civilisation d'origine extra-terrestre. C'est là où la philosophie, résolument phénoménologique et matérielle, ontologique existentielle et donc forcément humaniste, en tant que l'être de l'homme s'éprouve comme vivant et vulnérable, recevrait un ébranlement dont elle devra chercher à se relever. Ici encore la confrontation avec l'autre pourrait s'avérer féconde mais pas sans risques !

mercredi 10 juin 2009

phénoménologie

Presque tous les auteurs dont nous avons discuté jusqu'ici ont quelque chose à voir avec le courant principal --quant à nous-- de la philosophie au XXe siècle et qui se nomme phénoménologie.

Historiquement, Edmund Husserl en est le fondateur mais ce type d'approche remonte à souvent très loin dans le passé, disons jusqu'à Platon et aux stoïciens et des auteurs / philosophes importants comme Nietzsche et Hegel, même Marx, par exemple, ne sont pas exempts de racines voire points de contact importants en commun avec ce courant de pensée.

C'est donc dans un esprit d'éclaircissement que nous voulons introduire le travail d'un autre, et non nouvel, auteur qui s'inscrit expressément dans cette mouvance. Il s'agit de Michel Henry.

Celui-ci veut radicaliser le décollage initial de la pensée phénoménologique, s'attache à cerner son "objet" qui est selon lui l'apparaître, un drôle d'objet, donc, qui est fait de la substance même du sujet, dans son oeuvre majeure, L'Essence de la Manifestation, et aussi dans le recueil de la Phénoménologie Matérielle.

Cela sera ici un peu comme notre "Question de Méthode", où il sera temps de discuter de la stratégie d'appréhension des principaux problèmes que nous proposons d'aborder dans la suite des jours et la succession de ces billets.

Dans l'avant-propos à Phénoménologie Matérielle, notre auteur écrit : "C'est paradoxalement la vie qui en soi ne se réfère à rien d'autre, qui fournit le milieu où s'accomplit toute intersubjectivité possible. Et le paradoxe est moins grand qu'il n'y paraît si c'est dans l'épreuve d'une subjectivité radicalement immanente que la vie parvient en soi, s'empare de son être propre."

Dans ce passage, qui rétrospectivement pourrait passer pour l'énoncé du programme au moins implicite qui nous a conduit à choisir notre titre (celui du blog et donc de toute notre entreprise de recherche et réflexions), se détermine un autre départ que privilégient tous ceux, dont Heidegger, qui prétendent initier la rupture phénoménologique par la considération (et la mise en question) de l'être, qui serait plus fondamental et dont dépendrait la vie.

Comment prétendre parler de l'être ou pire encore faire parler l'être s'il est mort et que seulement la vie, une forme de vie peut lui prêter et faire entendre parole, toute parole ? On voit que la première difficulté ici serait d'expliciter l'intuition forte de ce que serait, fondamentalement, la vie dont dépendrait tout apparaître.

jeudi 4 juin 2009

Le monde selon... arc !

Le monde dans lequel nous vivons est une construction subjective : appréciations de chacun qui illustre bien ce point en suivant une grande diversité des choses. Je pastiche le titre du roman Le monde selon Garp qui illustre bien ce point.

Il ne fait pas sens aux grandes époques de promouvoir une vision tiède qui ménage les êtres et fait la part des choses, comme on dit. Et notre époque est grande au moins par le danger qui menace globalement la vie humaine mais aussi, dans le prolongement de la massivité des causes et des effets, pratiquement toute forme de vie sur cette sympathique planète tout de même.

Le bavardage de la banalité autant que l'hystérie publicitaire sont à bannir pour éclaircir les enjeux qui se montrent de quelque manière dans le domaine du perçu. Le problème fondamental, actuellement, est celui du réchauffement climatique, qui mènera, si rien n'est fait rapidement et massivement, à un bouleversement incontrôlable des conditions nécessaires à l'agriculture, par exemple : d'où l'impossibilité de nourrir le monde !

Si l'on s'attaque à ce premier problème, caractérisé par sa massivité, il faut repenser toute la structure industrielle, la soi-disant base économique et changer même le but de nos sociétés. En passant par les manières de vivre. Bouleversement radical mais moins libre que ne le souhaitait le slogan de "changer la vie", puisqu'il s'agit de s'adapter, créativement, si possible, mais à des contraintes rigoureuses.

Si on s'attaque avec succès à ce premier problème, ensuite viennent les autres : il faut nettoyer l'air, les eaux, il faut dépolluer les sols, répartir les ressources rares mais surtout se tourner de plus en plus vers l'énergie renouvelable et trouver un équilibre plus stable dans la taille des populations. Ce qui implique la coordination plus forte des diverses volontés de puissance dans un État mondial.

La remarque est faite qu'il y a déjà trop d'État, partout... Rassurez-vous, nous ne rêvons pas d'une dictature mondiale, ni de fer, ni soft... Mais il faudrait inventer une instance de coordination, aussi souple que possible, de tous nos efforts dispersés pour sauver nos vies, un avenir potable sur cette planète.

mardi 2 juin 2009

esthétique moderne...

L'esthétique postmoderne est basée sur du vent, le vide en fait : l'incongruité. La publicité l'exige : il faut tapper dans l'oeil du spectateur. La vie mutilée saigne et nous montre ses plaies. Tout cela se déroule dans la poussière, sur fond de nuages glauques et le cri fait échos à l'étincelant reflet d'or qui crépite sur la poitrine gainée de cuir noir, qu'ébrèche le couteau enfoncé jusqu'à la garde : la femme sourit mais un filet de sang et de bave mélangées suinte d'entre ses lèvres pulpeuses.

Nous aurions aimé vivre l'envol de l'époque moderne sauf qu'il y a eu cet affreux détail des deux grandes guerre mondiales et cela fait aussi, exemplairement, partie du tableau. Comment nous nous sentons impliqués dans les choses, cela reflète le tableau le plus exact de ce que nous sommes : par le prisme primitif des émotions.

"Pluton semble m'être propice..." chante Didon lorsque désertée par Énée, fuyant son amour pour aller fonder les racines d'un empire éternel. Le grandiose opéra de Berlioz, "Les Troyens" est une production, ou objet culturel semblant conjurer d'avance la barbarie massive de ces tueries dont n'osaient même rêver de grands ingénieurs macabres.

Les orages d'acier du vieux Schleu (Ernst Jünger) répondent à cette appréhension, à peine inquiète, du vieux troupier qui a connu le terrain. Cette esthétique est annonciatrice de la défaite radicale du sujet --à tout le moins classique-- ou de la défaite du sujet radical... L'être humain étonne toujours par ses capacités d'adaptation... Certains préfèrent déjà prendre des pruneaux plein la gueule plutôt que du pinard.

Il y a une ivresse de la douleur, de la souffrance dans l'épreuve à côté de l'amour. Quel rapport avec l'impulsion guerrière ?

lundi 1 juin 2009

Difficile collaboration...

Aujourd'hui en cette belle journée du début du mois de juin, j'aurais voulu saluer en grandes pompes et en quelque sorte comme officiellement l'arrivée d'un nouveau collaborateur sur ce blog : il s'agit de monsieur Jean-Marc Lemelin, qui par ses qualités et ses talents, aurait pu nettement rehausser le niveau général et la teneur intellectuelle des textes qui, morceau par morceau et commentaires après commentaires, construisent la position éditoriale et l'intérêt croissant de ce site pour lecteurs exigeants et apprentis penseurs (nous le sommes tous à un degré ou à un autre).

Jean-Marc est professeur à l'Université Mémoriale de Terre-Neuve (Memorial University of Newfoundland) où il enseigne aux étudiants des trois cycles tout ce qui a trait à la culture française, de la base (grammaire) aux sommets de l'érudition, analyses littéraires, sémiologie et débats philosophiques, par exemple. C'est un auteur à la tête d'une œuvre importante et vous trouverez beaucoup d'informations émanant de ce penseur original sur son site Pragrammatique.

Il aurait donc été possible, en passant à travers la succession des humeurs et le crépitement des questionnements, de poser quelques jalons et repérer quelques pistes dans un chemin de pensée qui reste encore à définir mais qui rétrospectivement pourra jeter quelque lumière et produire du sens. L'interaction aurait pu commencer par le jeu des commentaires, réponses, répliques... allant vers une dialogique qui ne se fera pas, finalement, en tout cas pas ici.

Pour le reste, on verra.

JP

jeudi 28 mai 2009

Le temps de l'être... vivant !

Comment pouvons-nous vivre ainsi !? Que reste-t-il de libre ? N'y a-t-il qu ela chute qui soit libre ? Il me semble que nous sommes en chute libre. Quelques débats, mais pourquoi toujours à côté de la plaque ? Pourquoi cette activité désordonnée, pourquoi ce frémillement d'insectes.

De grosses machines, celles de l'accumulation capitaliste, par exemple, poursuivent aveuglément leur course et dépassent leur but puisque l'empilement des marchandises devient absurde par l'excès : tant de choses sont produites qui ne seront jamais vendues. L'emballement de la machine nous réveille d'un rêve délirant. La machine à produire à la fin ne semble pouvoir produire que l'encombrement et la destruction du domaine viable.

C'est vertigineux, un moment arrêté, de se percevoir de côté, cette conscience qui vit à peine, presque complètement engluée dans les choses.

Pour le moment j'ai bien de la difficulté à écrire le texte de ce billet, parce que je voudrais le faire d'une manière exemplaire. Genre, "défense et illustration de la parole par un parlant" ou "défense de la vie par un véritable vivant". Parce que je sens trop bien ma faiblesse et mon irrésolution, parce que je vois que je m'engage à témoigner de quelque chose de bien plus grand que moi : LA VIE ! Parce que d'autres l'ont fait avant moi et avec de bien plus grands moyens. Je ne citerai ici pour mémoire que le nom de Nietzsche.

Parce que je n'ai même pas encore digéré ce printemps sinon entièrement pourri, du moins truqué pour moi et qui me laisse encore désorienté. Mais je vais revenir en temps opportun, puisque je peux réécrire les billets. Cependant je me suis aperçu, après avoir commis deux ou trois fautes, que je ne peux plus changer le texte des commentaires. Je ne peux que les supprimer ou les assumer, ou bien tout simplement les laisser subsister mais sans indifférence.

Cela signifie que je devrais faire plus attention, surtout lorsque je réponds à Jean-Marc, lui qui, apparemment, à dépassé le stade des fautes ! Je veux dire d'orthographe, mais peut-être aussi plus loin : bévues et méprises diverses.

Si c'est le temps d'être vivants, je me revois étudiant et je me dis qu'il est temps, si possible, de me remettre plus assidûment au travail. Si le temps est d'être vivant, où est passé l'énergie qui doit soutenir la passion !?

Au secours ? J'appelle à l'aide mais je ne suis pas seul...

mardi 19 mai 2009

le temps de l'Être

Difficile de trancher dans les questions ultimes. Je songe à cette pensée, question plutôt, en provenance de la tradition bouddhiste : >>Pensez à ceci : vous considérez-vous comme un être humain qui a une expérience spirituelle ou bien plutôt comme un être spirituel qui fait l'expérience d'un être humain ?<<

Je ne sais pas pour vous mais mon sentiment intime penche nettement du côté de l'être spirituel d'abord... ce qui est nettement contraire à l'interprétation sartrienne de l'existence comme précédant l'essence. Puisque, ici, je veux croire que l'essence est fondamentalement spirituelle. Je ne saurais jamais être, donc, rigoureusement matérialiste. C'est bien embêtant pour un marxiste, révolutionnaire !? ... Mais il est peut-être trop tard pour une révolution comme telle prolétarienne !?!? Disons pour le moment que c'est un autre problème.

Il y a donc des contradictions partout, jusques et y compris à l'intérieur de mon être, de ma pensée. C'est sûr qu'on peut penser bien longtemps à regarder dans le vague. Je prenais un bain et c'est ce que je faisais lorsque j'ai vu ce que je faisais et que je me suis demandé ce que pourrais faire de plus ou autrement. Alors, quand j'entre dans le bain, je me détends mais aussi j'entre dans ma résolution : je veux avancer dans le chemin de ma pensée intérieure.

Ultimement les attitudes divergentes de Sartre et de Heidegger sont indécidables : il y a du parti-pris légitime des deux côtés. Concernant l'ensemble possible des croyances Heidegger est finalement agnostique : il ne se prononce pas de savoir laquelle de l'essence ou de l'existence doit précéder, fonder?, l'autre parce qu'il voit devoir laisser la question ouverte.

Tandis que Sartre choisit une position délibérément et radicalement athée pour laisser la place libre à l'homme de construire son monde, dont il doit se rendre complètement responsable, laissant ouverte la question de savoir s'il faut des dieux et pourquoi, si l'homme pourra un jour prétendre s'équivaloir au pouvoir d'être plus grands, plus puissants, autrement placés sur l'échelle ontologique, si une telle "échelle" est concevable. En tout cas, moi, j'arrive à l'imaginer mais je sais que cela n'est pas une preuve.

Alors je vois qu'il faut réfléchir encore un peu plus profondément pour terminer la lecture de cette fameuse Lettre sur l'humanisme. D'ailleurs j'ai été éloigné de chez moi ces derniers jours et je reviens lentement à mes occupations habituelles. Je ne suis pas un surhomme et ceux qui y prétendent ne m'ont pas encore convaincus.

À bon entendeur, salut !

Jacques Perreault, dorénavant, et non plus Ph. Ph. !

mardi 12 mai 2009

La mystification de l'Être

Heidegger, dans sa Lettre sur l'humanisme, écrit (p. 57) : "La métaphysique pense l'homme à partir de l'animalitas, elle ne pense pas en direction de son humanitas."

Ne peut-elle pas faire les deux ? Je veux dire, est-ce une véritable alternative ? Est-il fatal que cela soit posé comme une dichotomie ? Cette manière de penser relève de la "méthode de la division" expliquée par Platon dans son dialogue didactique Le Sophiste qui n'est encore que la forme rudimentaire de la logique.

Heidegger semble exclure la possibilité qu'une métaphysique puisse lier et faire les deux : penser l'être de l'homme à partir de l'animalitas et aussi en direction de son humanitas. Celle-ci pourrait à la fois expliquer sa provenance matérielle et son émergence mentale et psychologique en direction du spirituel : la connaissance de la forme, unique et englobante, de l'univers, peut-être même (virtuellement) infini !

Je pense que Nietzsche réalise une telle pensée, dont Heidegger ne conçoit même pas la possibilité, parce qu'il oppose trop rigidement l'animalitas et l'humanitas et ne voit pas comment l'histoire du vivant passe de l'un à l'autre.

Quand il écrit, juste après, que "l'homme ne déploie son essence qu'en tant qu'il est revendiqué par l'Être", cela n'est qu'une pétition de principe. J'y vois de l'obscurantisme et de la poudre jetée aux yeux. Des générations d'intellectuels chagrins et extatiques, en attente du mystère presque ineffable, s'y seront laisser abuser.

L'image de la clairière est séduisante, bucolique même. Cependant l'anthropogenèse ne proviendrait-elle pas d'une suite de variations dans les agencements déterminés et matériels ? L'homme ne serait pas émergence à partir d'une complexification organique et unifiante ? D'ailleurs, l'"homme" est un concept vide et abstrait car jusqu'à preuve du contraire il y a surtout des hommes et des femmes existant dans toutes leurs différences variées. Certains même hésitent entre les deux sexes de diverses manières.

Je pense que Heidegger retombe dans une des formes de l'humanisme qu'il prétend critiquer lorsqu'il coupe l'homme de toutes les autres formes étantes. C'est une résurgence sournoise de l'orgueil chrétien refoulé de sa jeunesse. L'affect majeur de la pensée-Heidegger est l'orgueil, celui de Sartre, la générosité. Jugeons l'arbre à ses fruits. Faites comme vous voulez, moi je choisis mon camp : Nietzsche, Marx et Sartre (je n'ai pas dit Freud) contre Heidegger.

Le déni de l'organique n'est pas très subtil : "Autant vaudrait prétendre enfermer dans l'énergie atomique l'essence de la nature." (p. 59) Mais la physique moderne n'a absolument rien à faire, n'a aucun usage de la notion surannée d'"essence". Voilà où pointe l'oreille de la vieille métaphysique.

Marx dit déjà, en rupture avec le vieil humanisme : "l'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé, dans sa réalité c'est l'ensemble des rapports sociaux." (VIe thèse sur Feuerbach, traduction retouchée par moi JP). Ce qui signifie que pour émanciper les hommes, afin qu'ils deviennent pleinement humains, c'est-à-dire plus responsables de leur sort, il faut penser les formes de la société et transformer son agencement dans un sens qui élimine et pourchasse la part intolérable de l'injustice.

La notion de justice n'est pas non plus ici une essence planant dans les airs, mais elle se définit en fonction même de l'anthropogenèse : une société plus juste est celle qui donne la chance à chacun de développer ses talents et de contribuer à sa manière unique, les différences étant, plus que tolérées, reconnues comme valeur : la véritable richesse.

Diversité, richesse : oppositions, compositions : différences et affinement de la pensée sous la direction de l'affect moteur de la générosité. Ce que manque Heidegger c'est précisément le passage à travers le temps des formes de la matière de l'organique au mental et du mental au spirituel.

Dans le tournant, qui coïncide avec la dé-faite du nazisme, Heidegger se voit obligé de courber son orgueil, de jouer le jeu politique et poétique de l'humilité en quelque sorte, mais l'orgueil domine encore secrètement son œuvre de bout en bout et il restera jusqu'à la fin le donneur de leçons que les Allemands trouvent insupportable. C'est pourquoi afin de survivre philosophiquement il doit avoir recours aux Français, qui eux trouvaient insupportable la détermination sartrienne de ne pas jouer à cache cache avec sa liberté, devant la nécessité, autrement dit, de choisir son camp, sans la ressource de reporter aux calendes grecques l'improbable découverte de la vérité de l'Être.

Quand monsieur Heidegger dit que le renversement d'une proposition métaphysique reste une proposition métaphysique il ne dit pas aussi qu'il peut arriver qu'il en soit autrement. Dire que l'existence précède l'essence c'est changer le statut de l'existence si l'on dit aussi comment et pourquoi elle la précède : parce qu'elle la produit. Les seules "essences" sont produites par l'existence humaine, cette manière d'être qui construit des significations et du sens, des notions et des concepts aussi bien que des rêves et des chimères.

Et ne méprisons pas les forces qui résident, comme recelées et cachées dans les ressources renouvelées de l'imaginaire. Nous y reviendrons souvent sans doute dans cette œuvre en procès qu'est la présente publication, dans sa forme souple et tranchante.

Mais cette critique qui prétend attraper le défaut de la pensée de Sartre est formelle et stérile et ne doit pas faire illusion. Heidegger en reste au jeu de mots, renvoie à une érudition historique et se paye de formules creuses. Trop profonde ? O grand Être !

L'Être est la mystification de l'anthropogenèse, que Heidegger ne savait concevoir. La destination de l'Être qui est de destiner... le sens de l'être de l'homme, bien sûr, n'est pas une explication, c'est un procédé rhétorique circulaire. Voilà où j'en suis, pour le moment, de ma lecture de la Lettre sur l'humanisme. La suite est à venir quelque part la semaine prochaine.

Je suis pour le moment arrêté en haut de la page 81 (Aubier-Montaigne), là où Heidegger commence à expliciter son intuition de l'Être. Nous verrons si la suite amene du nouveau et qui pourrait, peut-être, renverser notre présente interprétation.

Y a-t-il, par exemple, une telle chose que "l'oubli de l'Être" ? Ou ne doit-on pas plutôt parler d'une découverte de l'univers. Gageons qu'il n'était pas d'abord connu quelque part dans l'œuf. Mais on dirait bien qu'un peu plus loin (p. 87) Heidegger confisque l'amitié de l'homme pour l'Être.

Alors, à bientôt, vous penseurs et vous aussi, simples mortels.

Ph. Ph.

dimanche 10 mai 2009

Sloterdijk le magnifique

La relecture de ce tout petit texte : Règles pour le parc humain, m'a fait encore plus forte impression, je crois bien, que la première lecture que j'en avais faite, quelque part en 2002... J'avais d'abord été alerté par un écho affaibli de la polémique qui avait fait rage en Allemagne entre Peter et Jürgen (Sloterdijk et Habermas), du moins dans les médias, parce que Peter, lui, maintien qu'il n'a pas comme tel ajouté un mot à ce discours prononcé une première fois en juin 1997 à Bâle, une deuxième fois en juillet 1999 sans presque changer un mot, dit-il.

C'est parce que la seconde lecture, plus distanciée de tout ce brouillage du message que constitue la controverse médiatisée comme un serpent qui se mord la queue, focalisant sur la dictature du spectacle (et de la publicité) et que les questions, en fait, LA question essentielle qui y est soulevée reviens plus fortement de sous la trame. Cette question, je la formulerais ainsi, dans la mesure où j'aurais bien compris un texte pourtant si simple mais volant tellement plus haut dans son intelligence sensible des problèmes en apparence les plus abstraits et universels.

"Monsieur Heidegger, vous qui vous présentez comme LE grand interprêtre de L'Être, que faites-vous de cette amitié que les hommes se doivent à eux-mêmes et entre eux en ces temps de détresse ? Que faites-vous des injonctions de Platon et relevées par Nietzsche concernant le souci de l'anthropogenèse, que l'apprivoisement soit conduit à bon port et considérant les époques qui s'étendent sur des millénaires ?"

La réponse que nous permet d'entrevoir Peter Sloterdijk dans sa communication incisive c'est que, prétextant s'occuper de telles questions, monsieur Heidegger à ce moment est surtout occupé à sauver sa peau. Il tente de retrouver une audience dans cet immédiat après-guerre où presque toute l'Europe était plongée dans la misère. Et voilà qui nous permet de situer tout ce débat autour de ce texte longtemps intriguant (au sens de mystérieux mais aussi au sens de complot sectaire) dans un contexte à la fois plus précis et plus vaste.

Ce temps était celui de la victoire de l'américanisme et du partage de l'Europe et du monde imposé par la solidité des positions prises par l'URSS. La guerre froide pointait déjà à l'horizon et les intellectuels les plus clairvoyants, se déterminaient déjà à choisir leur camp. Sartre embrassait le parti de l'homme, dans son inachèvement, mais essentiel : c'est-à-dire dans la problématique de sa liberté incontournable : ontologique. C'est là où Sartre voit l'appel de l'Être chez l'homme.

Dans ce contexte, Heidegger entreprend, par cette lettre, adressée à Jean Beaufret mais ensuite publiée librement, de se démarquer de cette mode tapageuse dont les échos lui parvenant ne manquaient certainement pas de l'agacer prodigieusement. Mais que le besoin d'explication, la faim de sens et même de philosophie descende dans les masses ne devrait pas être, en soi, un phénomène désastreux. Il importe sans doute d'encadrer ce mouvement et par les mises en garde prévenir les emportements les plus extrêmes, mais pourquoi s'employer à discréditer radicalement un penseur qui pourrait être un allié important ? Parce que c'est d'abord et avant tout un rival dont il faut atténuer l'influence. Sartre, même se réclamant de lui dans L'Être et le Néant fait de l'ombre à monsieur Heidegger. Un peu trop libre, sans doute, dans sa reprise (relève?) du problème de l'existant.

Quoiqu'il en soit je ne suis pas encore certain de ma position sur cette question du rapport des pensées de Sartre et de Heidegger, de savoir qui a raison, finalement... Je ne suis pas sûr de pouvoir évaluer exactement la portée des problèmes soulevés dans cette Lettre sur l'humanisme, et c'est pourquoi je vais dans les prochaines communications ici même en tenter une lecture modeste, qui va d'abord tenter de mettre à plat les saillies et problèmes qui accrochent, pour donner au texte sa chance de laisser venir son énergie propre et donc l'allant qu'il pourrait, encore aujourd'hui, nous communiquer. Mais par ce qui précède je ne cache pas que déjà je suis hanté par quelques gros doutes sur le rôle "angélique" de monsieur Heidegger. Chantre de l'Être ou avocat de l'allemand ?!

Ph. Ph.

mercredi 6 mai 2009

S'expliquer avec l'allemand

Les heideggeriens m'énervent, et pourtant je ne suis pas un ennemi de la pensée heideggerienne ! Ils entretiennent toujours les mêmes malentendus mais savamment mis en scène. Jusqu'à Gérard Guest (Gégé pour les intimes) qui refait le contresens, dans ses conférences consultées sur le site Parole des Jours (de Zagdanski) d'imputer la "mauvaise traduction" du dasein, "l'être (le)-là", dit-il, en "réalité humaine" à Sartre, dont le travail aurait influencé Corbin, tout cela rigoureusement "contemporain" disait-il. Dommage, je suivais avec espoir l'entreprise de lecture de Gégé et cette attente était confortée par sa recherche d'une "phénoménologie de l'extrême", que je pense trouver précisément chez Sartre.

Alors, tout cela me force à réouvrir à nouveaux frais cette polémique autour de la Lettre sur l'humanisme qui n'en finit plus, comme celle-ci, la Lettre, n'en finit plus de faire pièce à la (mauvaise) conférence de "L'existentialisme est un humanisme", prétendant dans le processus disposer, en le caractérisant, de l'ensemble de l'œuvre de Sartre.

Il me faut 1) relire cette Lettre sur l'humanisme, en résonance, comme l'indique Gégé, avec Holzweig et les Beitrage, 2) reprendre le contexte de constitution de L'Être et le Néant, toute la première manière sartrienne avec, bien antérieur l'article introductif de Corbin, examiner des prolongements de la polémiques, chez 3) Sloterdijk, notamment dans "Règles pour le parc humain" et "Éclaircissements sur l'éclaircie", 4) réexaminer le dossier monté par Meschonnic, après celui de Temps Modernes, dans sa critique du rythme heideggerien.

Le rendu du Dasein par une métaphore alors que l'on introduit pratiquement, en fait, pour une première fois en France la pensée de Heidegger qui s'engage à faire s'expliquer l'allemand (philosophiquement)n'est pas une si mauvaise chose, puisqu'il n'est pas question d'emblée de se situer à l'intérieur d'une pensée encore inconnue. Sartre survient ensuite, travaille bien plus tard, pas avant son séjour à Berlin en 1934, sur les textes de Husserl surtout mais aussi de Heidegger et commence à questionner ce qui advient de et par ladite réalité humaine.

Ensuite se déroulera toute cette histoire de la réception en France et des différentes tentatives d'appropriation de la pensée heideggerienne en ses différentes inflexions, avec l'ironie surjacente de Nietzsche, partout présente et qui se mêle finalement de ne pas vouloir ou la paix, dans l'"innocence du devenir".

Tout ce vacarme parle allemand et le mérite de Heidegger est certainement d'avoir amené cette langue à s'expliquer, sur les problèmes et avec les questions fondamentales. Je demeure convaincu que la langue royale de la philosophie après le grec sera le français, qui permet de se sortir des impasses de la forêt épaisse, car véhicule de la clarté la plus propre à décrire et maintenir l'ouvertude en l'éclaircie. Mais pour en arriver à ce résultat, il aura fallu en passer par l'explication avec l'allemand en tant que langue pensante.

dimanche 19 avril 2009

Un autre mythe moderne : le développement durable

Il n'y aura plus de développement durable. Oubliez ça, c'est fini. On y a cru longtemps. Beaucoup veulent encore y croire. Certains y croiront jusqu'à la mort. Mais cela n'est plus possible à l'examen lucide.

Rétrospectivement qui pourra dire qu'il n'y aura jamais eu, en fait, de développement vraiment durable!? Durable comment ? Rien ne dure éternellement. Mais on se berce de mots parce qu'il y a intérêt : intérêts à court terme, envie de lucre, avidité, instinct de conservation dans des positions de pouvoir dont l'apparence de solidité tient à l'intimidation.

À long terme tout le monde est mort et tout est fini mais en attendant et tant qu'il y a un peu de vie donc d'espoir aussi factice soit-il, on peut encore dégonfler quelques mythes.

L'exploitation sans frein des ressources matérielles, physiques du globe, nous privera bientôt de l'essentiel. Prenons l'exemple des métaux. Bientôt il n'y aura plus d'argent, le métal, à prospecter. Il en reste pour moins de 12 ans aux taux de consommation actuels par l'industrie ; pour le zinc, c'est 16... et ainsi de suite. Il paraît qu'il y a de l'or dans les voûtes... Allez-y voir !

Pendant un temps "on" pourra récupérer les vieilles carcasses, pour retaper les machines de guerre encore performante, un moment encore et jusqu'à la victoire finale... par défaut sans doute et du dernier prétendant à la domination d'un monde en ruine.

Le capitalisme aura donné alors son aboutissement ultime. Non plus une "immense accumulation de marchandises" mais une fois les boîtes ouvertes, les emballages-cadeau éventrés, le vainqueur trônera sur un gigantesque amoncellement de décombres.

La seule façon d'éviter cette catastrophe serait de se mettre dès à présent à gérer la décroissance. Mais nous ne voyons toujours rien venir et nous allons frapper le mur bientôt, bien trop tôt : en pleine gloire !!!

vendredi 17 avril 2009

joie et vp

progr. de construction : printemps émotions euphorie volonté de puissance brusque expansion joie orgasme et liberté

la joie est l'émotion par excellence du printemps c'est l'éclatement possible d'une nouvelle liberté un oiseau sort du nid et apprend à voler les cœurs se dilatent à la chaleur comme ce métal qui répond à l'amour

le moyen-âge grec Athènes et les dionysies peur des doriens

montée de la nouvelle sève passages de l'animal à l'homme de l'homme au divin...

Cet autre truc aussi est programmé depuis longtemps, mais je ne suis pas encore parvenu à le terminer. Misère ! Une chance encore que je puisse reprendre les morceaux et corriger les fautes.

lundi 13 avril 2009

Un pas vers plus de liberté...

En ce beau printemps, il faut réagir... Il faudrait... mais renaître ! Voilà ce qui serait digne d'un phénix, c'est-à-dire d'un vrai, véritable vivant. Même le serpent change de peau, le corbeau déploie ses ailes mais l'aigle monte plus haut, porté encore par les courants ascendants. Réagir ? Non, mieux, agir... pour faire face et refuser l'enfermement. Dans des tâches, dans un couple, un enfer partagé, une situation intolérable.

Chaque jour lorsque je me lève, souvent... il est trop tard pour partir du bon pied mais... les premiers pas restent toujours rattrapables ! Parce que tant que nous ne sommes pas mort, donc avant le dernier pas vers la tombe, une chance nous est offerte de changer notre vision, d'ouvrir notre esprit à de nouvelles dimensions, de dilater notre cœur pour l'amour retrouvé. Il restera toujours la chance d'un sourire ou de goûter du miel avant le plongeon final ou la fermeture définitive des lumières.

Chaque jour la chance nous est offerte de devenir meilleur. La marge de manœuvre apparaît bien petite lorsque la pression et l'urgence des tâches est la plus grande, mais sitôt que nous sommes de loisir, ne serait-ce qu'une minute, une chance ne nous est-elle pas donnée de philosopher, comme dirait Socrate!?

Le sommeil nous aide déjà beaucoup à reprogrammer nos pensées. C'est pourquoi il est sacré. Quiconque s'attaque à notre sommeil s'attaque à la fibre même de notre être. Mais comment prendre le contrôle de nos rêves ? Et comment agir dans le sens d'accroître l'espoir, d'augmenter la force de tenir nos engagements, de renforcer le courage de tenir, l'audace de faire reculer le mur des impossibilités ?

La méditation, sur notre être dans une juste posture ; le contrôle de la respiration, la régulation des rythmes de l'organisme et de la circulation du sang, une excellente oxygénation du cerveau installe la base d'une plus grande clarté et force de penser. C'est un yoga (mot qui signifie l'union du physique-organique avec le mental et le vouloir, capacité transcendante qui pourrait donner l'esprit).

C'est la base d'un renforcement du caractère humain aux capacités émergentes d'esprit à partir d'une reprise de contrôle de notre organisme animal, sujet à toutes les influences. Et c'est le premier pas d'une démarche de liberté, où les début de la réflexion sur notre être, en intériorité, et sur les atteintes du monde, selon les affects qu'il nous cause et informations que l'on trouve, en extériorité se conjuguent dans l'effort de synthèse qui transforme notre réflexion jusques et y compris vers l'autoréflexion de telle manière que nous savons de plus en plus de quoi il s'agit quand on parle des problèmes du monde et que nous connaissons mieux la place que l'on y occupe, ainsi que ce que nous voulons.

De savoir ce que nous pouvons et où sera notre action dans ce monde que nous voulons nôtre, de plus en plus vivable, et ouvert pour tous, dont il faudra cependant contrôler le nombre par une régulation réfléchie de la reproduction, permettant les ressources nécessaire au développement qualitatif des êtres libres que nous sommes. Voilà ce que je souhaite aux héritiers de ce monde et successeurs des dinosaures.

--Mais je ne suis pas en contrôle: pourquoi ai-je besoin encore de boire de la bière pour enfin finir par l'écrire ce truc!?

jeudi 9 avril 2009

insurmontable - assumer ?

Le fait que les mégatonnes s'accumulent sur nos têtes, virtuellement nucléaires et réellement en carbone dans l'atmosphère et modifiant le climat dans le sens du réchauffement que l'on commence à mieux comprendre ou croire... est écrasant. Cela semble un obstacle plus que jamais et je dirais même plus de plus en plus insurmontable pour la liberté qui, de type sartrienne, cherche indéfectiblement à s'assumer.

Assumer, encore, le pouvons-nous ? La position sartrienne est-elle périmée, elle-même dépassée parce que, comme le disait L.-F. Céline, le couvercle est sur le bocal ? Cette Lettre ouverte à l'agité du bocal est d'une suavité qu'il me faut reconsulter. Une conception du sujet humain basée essentiellement sur la liberté relative de l'affrontement, déchiffrée par les dialectiques attentives au terrain, se retrouve, de facto, en difficulté.

Les considérations de la simple survie en viendront, tôt ou tard, et mieux vaut plus tôt que plus tard... à dicter les possibilités de l'action. Et non plus les principes évolués de la recherche philosophique.

Nous sommes sous la fausse impression que nous avons du temps, la vie est confortable, un peu partout en occident, du moins. Nous avons encore le loisir de nous asseoir et de réfléchir, aux problèmes urgents, par exemple, et globaux... Mais justement parce que notre vie est, encore!, confortable parce que nous n'en savons pas assez, nous ne le faisons pas, nous n'en voyons pas l'utilité parce que nous ne ressentons pas l'urgence.

Nous aurions maintenant la chance de voir venir, mais nous ne sommes pas éveillés et ne nous soucions pas des lendemains. Recette parfaite pour une catastrophe, un effondrement et un massacre. Tout cela à la suite mais peut-être dans le désordre.

[Selon mon intuition phénoménologique panique je dirais que la catastrophe vient probablement avant le massacre parce que personne de grand pouvoir n'est encore assez fou pour déclencher cette catastrophe humaine que l'on nomme massacre. L'effondrement viendra lorsque nous ne pourrons plus nourrir le monde. Les gens. La masse. Le populo. La grande masse du peuple aura trop faim : c'est alors que commenceront les massacres.]



Cela sera intéressant d'observer le déboulement car la vie sera alors plus mouvementée, pour ceux qui peuvent encore se bouger… Les autres… bien, on n'aura plus les ressources pour s'en occuper et complètement les prendre en charge. Moi je me programmais une vieillesse heureuse… et longue… et sereine. 100 ans j'avais pensé. Je me croyais assez bon pour 100 ans !

>Bien, j'en ai à peine fait la moitié mais je me vois maintenant obligé de revoir mes plans. Est-il besoin de le dire : à la baisse ! J'ai 55 ans cet été. Dans trente ans, il y aura toute sorte de situations locales mais globalement "on" ne pourra plus nourrir qu'une faible partie de la population actuelle. Donc il est plus réaliste de penser que je ne serai pas du nombre, que je ne ferai donc plus partie de la population vivante.



Et vous, quels sont vos plans pour l'avenir ?! ...

Bonne chance à tous !

samedi 4 avril 2009

mégatonnes

Nous ne savons plus de quoi, tant lourdement elles s'empilent, ni desquelles il faut le plus se méfier : de TNT équivalent nucléaire ou gaz à effet de serre. De toutes les manières les mégatonnes nous enterrent. A terme nous sommes finis, comme n'importe quel être vivant, c'est normal, mais finis : détruits : comme une espèce qui enterre toute une histoire ... ??? Cela excède l'appréhension d'un simple individu, cela excède l'expérience et l'importance d'une vie. Une seule vie...

Pourtant, il n'y a que ça, en balance, avec l'infini, ou le néant, ou la fin : bien trop lourd : une vie !

L'infini, seulement virtuel ; le néant, bien trop proche, concret! ; la fin, programmée, attendue, prévue, sentie... pensée ? "Philosopher c'est apprendre à mourir..." Engagez-vous, ils disaient...

Retrouver son équilibre quand la tête tourne à ce point !... Cette crise pas seulement économique, assez gaspilleuse en fait, nous montre pourtant que le tapis nous glisse sous les pieds. Mais c'est encore pire et nous ne voyons pas le problème.

Si nous sommes fichus, comment puis-je continuer à vivre, comme si de rien n'étais !?... Si le temps nous est compté comme espèce, alors je sais que dès maintenant tout est faux ! Le moins que l'on puisse dire c'est que les règles ne sont point à jour. Et comment vivre avec cette conscience, comme si de rien n'étais ?

Il faut chercher à faire quelque chose mais pratiquement tout tient à la possibilité d'éveiller les autres. Pourtant ils me stigmatisent comme un exclu, l'intensité même de ma conscience me rend suspect pour eux. Et je peux difficilement leur parler alors qu'ils abandonnent les plus grandes puissances du langage.

Dilemme.

Pratique..

Existentiel...

Ah..

Ahhhhhhhhhhhhh!!!!!!!!!!!!!!!!!!

samedi 28 mars 2009

nuit

La nuit de l'incompréhension, la nuée de l'incertitude, la ténèbre du non-savoir, je vis et respire dans l'attente, cœur inquiet resserré, retenu, contenu dans l'espace restreint de l'indétermination où je suis acculé à l'infortune. Un mauvais pressentiment me taraude. Je ne sais pas ce qui adviendra de nous mais je crains les pires extrémités. Et je ne sais pas ce qui adviendra de moi.

Si nous continuons comme ça, nous allons frapper le mur environnemental, fait de catastrophes climatiques annoncées, le régime des pluies se modifiera, entraînant de graves sécheresses dans plusieurs régions actuellement productives, tant et si bien que nous ne parviendrons plus à nourrir de larges populations. Je crains bien que dans trente ans il ne pourra plus subsister sur terre et ce, dans des conditions horribles ou misérables, qu'une toute petite partie de la surpopulation actuelle : je prévois que le nombre de nos congénères passera au-dessous de 10% des sept milliards que l'on compte maintenant. Probablement moins des 700 millions... on oublie trop facilement qu'il faut pouvoir nourrir tous ces gens.

La dixième partie, seulement, de nos descendants, survivra, ce qui fait pire que neuf fois décimer les troupes. On se souvient, en effet, que la décimation --comme le mot l'indique : (un sur) dix, le dixième (homme)-- était une pratique cruelle pour contraindre à la discipline dans les légions romaines : quand un corps de troupe était jugé coupable d'une faute grave, ou d'un manquement, au cours de la bataille ou plus généralement dans le service, occupation, blocus, etc., bien ledit corps de troupe était déployé régulièrement, les soldats au garde-à-vous mais désarmés, et les centurions, décemvirs et autres officiers défilaient dans les rangs, plongeant leur glaive dans chaque dixième poitrine.

J'ai bien des difficultés à me représenter la scène et je me demande, pas trop longtemps, comment ils s'y prenaient. En revanche, je me représente très bien comment on en arrivera à ne plus pouvoir normalement habiter la surface des continents. Mais lorsque je parviens à trouver le sommeil je dois confesser que je n'ai pas encore de ces horribles cauchemars, annonciateurs de ceux qui deviendrons réels.

Pour éviter ce futur horrible il faudrait une vaste poussée, coordonnée, agissante, des meilleures volontés, guidées par un plan lucide, clairvoyant, informé et attentif à toutes les causes de nos malheurs. Le seul problème étant que nous ne voyons pas encore le début d'une trace d'un tel plan d'ensemble. Les projections de l'entente dite de Kyoto sont largement dépassées, cette tentative est un échec qui montre l'incapacité des États, des nations, des peuples à s'entendre pour produire des efforts concertés.

Encore une fois, cela sera la guerre, une série de guerres de plus en plus sales, qui tranchera. Les guerres de l'eau sont déjà commencée : regardez en perspective ce qui se passe maintenant au Moyen-Orient. La course aux ressources des États mobilisés s'accélérera et l'augmentation des tensions éclatera en conflits de diverses intensités. Si le monde se défait, il n'y aura plus de guerre mondiale, à proprement parler, mais le nom même du monde, entrant en convulsions, sera guerre.

Dans ma nuit de l'inconnaissance je m'inquiète en pure perte. Peut-être le bruit se répand qu'il faut faire quelque chose. Peut-être trouverons-nous le temps de trouver des solutions...

Car cela reste une histoire à suivre : pas le choix, c'est la nôtre !

jeudi 26 mars 2009

fébrilités

Il y a accélération mais surtout fragmentation de l'expérience. La vie personnelle se détache en plusieurs portions et l'on n'arrive plus à recoller les bouts, on n'arrive plus a en coordonner un ensemble, on n'arrive plus à en produire du sens. Si bien que souvent "on" n'arrive plus à faire proprement et vivre comme une personne. Plusieurs rôles sollicitent et plusieurs visées usurpent à tour de rôle l'usage, l'exercice du poste de pilotage, tant et si bien qu'il y a des morceaux de plan, des tactiques, mais qu'il ne semble plus y avoir manifestation suivie d'une stratégie.

Il se produit une série d'explosions d'images, fragmentations des connaissances, des savoirs, des perceptions en une multiplicités de détails qui ne donnent plus un tableau d'ensemble. L'image du monde se décompose, sans déconstruction, en beaucoup de regards et plus vite, plus radicalement que l'effondrement prévisible de notre monde réel.

La conscience est éclatée, prélude à l'éclatement réel des sociétés ?

Dans l'angoisse la peur reprend le poste de commande et dicte des gestes précipités, des refus, des fermetures. Elle interdit d'élargir la compréhension et mine les leviers de la transformation dans l'agir. Nous sommes alors dans un danger qui provient de toutes parts, se présente sous des formes variées et nous atteint au plus profond. Ce qui devient finalement le plus à risque est la possibilité même d'une âme.

lundi 23 mars 2009

désarroi

La réflexion sur le sujet post-moderne prend conscience de sa très grande fragilité. En fait, s'il existe encore et/ou si l'on peut encore prétendre en asseoir une représentation, établir une théorie ou explication de ses structures, on est amené à le qualifier de faible et inconstant, épisodique ou fluctuant, versatile mais sans point de repères et le plus souvent participant, pieds et poings liés, à un vaste procès sans sujet: le Capital, apparemment, étant la seule forme actuelle de grande totalité en action.

Je me suis longtemps répugné à l'admission de cette défaite du sujet que représente l'accès, je dirais plutôt la chute, à l'ère post-moderne. "Post-merde" m'écrivait un ami, Jean-Marc Lemelin (cf., par exemple, recherche google : "pragrammatique"), dans une lettre personnelle du début des années 90. Mais il a fallu se rendre à l'évidence, une confluance de forces, facteurs et événements ont précipité la conscience d'une
perte généralisée de sens et de puissance dans le sentiment que chacun pouvait prendre de sa vie personnelle dans sa recherche d'autonomie mais aussi dans sa participation, volontaire mais aussi imposée et par défaut, aux vastes ensembles qui modèlent l'espace et les modalités de l'expérience.

Certains, réagissant à ce décor désolé, saisissaient l'occasion de nous présenter une nouvelle image de la liberté et proposaient les rebondissements d'un
sujet en procès, virtuose et créatif, performant autant dans les domaines de l'action et de la séduction que dans celui de la pensée ou du moins du discours sinon de la théorie. Cette dynamique est assimilable aux noms de Philippe Sollers et Julia Kristeva, qui regroupaient une chouette équipe autour de la revue Tel Quel jusqu'à sa transformation en L'infini et le passage à un nouvel éditeur, des éditions du Seuil aux éditions Gallimard au début des années 1980.

Selon une conceptualité inspirée de la pensée nietzschéenne, il s'agit de la position du nihilisme actif qui est excellement illustrée ici. Force est de constater que le nihilisme devient pas mal plus passif chez un auteur plus tard venu encore, Michel Houellebecq, mais la part active est représentée par l'envol imaginaire qui verse régulièrement dans la science-fiction : la porte de sortie, le futur alternatif qui peut, à la rigueur, tenir lieu d'utopie.

Mais les figures de l'utopie, de l'imaginaire, de la science-fiction et ses futurs alternatifs, de toutes portes de sorties virtuelles, fuites dans l'imaginaire, dirait Sartre, et qui témoignent, dirait Fredric Jameson, de notre incapacité à imaginer des alternatives réalistes voire même des changements réels à notre condition apparemment sans espoir, tout cela en toutes ses variantes sont absolument nécessaire pour maintenir le potentiel à tout le moins disponible de la capacité d'invention d'une importance vitale pour faire face aux crises qui, de notre fait, nous pendent, collectivement et massivement, au bout du nez.

Y a-t-il d'autres voies à explorer, d'autres entreprises, de réforme ou de recherche, à développer pour regonfler à tout le moins le moral d'un sujet devenu, sur le plan pratique autant que sur le plan théorique, hautement problématique ? Appel à tous ! La question est au moins posée et toutes les suggestions, propositions, solutions?... sont bienvenue. Je vous écoute.

À bientôt, cher dinosaures... et quelques oiseaux qui nous observent ?! J'attends vos messages, foisonnant ! J'espère, mais je ne mets pas tous mes "oeufs" (de Pâques!) dans le même panier et je continuerai néanmoins ma réflexion.

Pour maintenant, meilleures salutations !

mercredi 18 mars 2009

croissance et histoire

La croissance est un mythe, peut-être le mythe moderne le plus important, dans ses effets réels, en tout cas, sinon dans sa puissance d'attraction symbolique. Il est prépondérant dans le domaine de l'économie. Cette notion est devenue un dogme que de trop rares penseurs (pour ne pas parler des économistes --mais l'économie est une chose trop importante pour être laissée aux mains des économistes !--) osent remettre en question.

Mais un examen de l'histoire à tête froide nous indique que diverses situations se produisent. Des fois un certain type de croissance sera possible, voire nécessaire. Mais à d'autres moments elle sera néfaste voire impossible. Il serait intéressant de produire quelques exemples, ici, tirés, pourquoi pas, de la Critique de la Raison Dialectique de Jean-Paul Sartre.

Ce mythe moderne aggrave la perception de la crise actuelle mais aussi la sévérité de ses effets réels, comme il ne serait pas difficile de le montrer. Mais nous nous trouvons dans une situation où, historiquement, comme à la croisée des chemins, nous ne pouvons plus supporter de continuer à sacrifier à ce mythe.

Il y a déjà un certain temps que les écologistes les plus sérieux nous démontrent que cette croissance est néfaste et les plus récentes données sur les changements climatiques semblent corroborer leur démonstration par la sanction pratique du réel. Je crois qu'il est devenu assez évident que nous ne pouvons plus poursuivre cette croissance, "la" croissance à tout prix, du moins, par ce type de croissance : parce qu'elle est 1) quantitative, 2) aliénante, 3) gaspilleuse et 4) finalement destructrice.

1) Quantitative. Elle est mesurée par le Produit Intérieur Brut (Gross Domestic Product, GDP pour les intimes), le fameux PIB, et ce, même s'il implique de produire plus d'armes, plus de pollution, plus d'inconvénients et de maladies, plus de problèmes et de malheurs. Machine sans âme, c'est bien en cela qu'elle est purement quantitative, complètement indifférente au bien comme au mal, ainsi qu'à toute considération de qualité de vie dans l'habiter humain.

2) Aliénante. Elle se fait et se produit au détriment de la dignité et du développement de l'éducation et des capacités humaines du plus grand nombre, des producteurs comme des consommateurs. Elle mise sur le développement des besoins souvent les plus bas et les plus vils, encourage même les vices et les pires tares qui puissent se trouver dans la culture au sens large et dans le répertoire comportemental humain. Cette "croissance", globalement, se nourrit des défauts de la masse des individus, les isole davantage et les rend plus insatisfaits, mécontents d'eux-mêmes et des autres, plus dépendants aussi et plus faibles : malheureux.

3) Gaspilleuse. Tout cela se fait à grands frais de ressources rares et/ou non renouvelables.

4) Finalement destructrice. Cette croissance mauvaise produit toujours plus de pollution, plus d'armes qui vont finir par être utilisées dans des guerres de toutes sortes, va donc détruire à la fin du processus plus de vies, de terres arables et fertiles nécessaires à nourrir les populations, pour finir par mettre en danger de plus en plus radicalement toute vie humaine sur la terre.

Cette croissance économique, quantitative et unidimensionnelle (que je caractérise comme classique, en référence et non révérence aux théories économiques classiques) mise sur l'accroissement continuel de la population, pour augmenter sinon la masse des producteurs, du moins celle de consommateurs afin de relancer la machine en complétant le cycle du capital.

Mais ceux qui réfléchissent commencent à s'apercevoir que finalement, il est absurde de viser un accroissement de la population alors que les ressources non renouvelables sont dilapidées et que nous ne sommes plus en mesure d'assurer la survie à long terme de ces populations qui deviennent ainsi rapidement excédentaires.

Il serait plus conforme au simple bon sens de chercher à stabiliser la population alors que ces problèmes qui confrontent la masse des gens s'intensifient et se multiplient.. Cela serait un bon premier pas dans la direction d'une reprise en main par l'humanité de son destin. Cela serait, en fait, la véritable naissance du sujet humain, comme sujet de son histoire, cela dans une civilisation que s'assure de durer, inaugurant ainsi tout un nouveau cycle de développement.

En attendant que nous commencions à prendre de meilleures décisions, je vous souhaite à tous bonne chance, alors que les dinosaures continuent de surveiller la comète.