lundi 1 juin 2009

Difficile collaboration...

Aujourd'hui en cette belle journée du début du mois de juin, j'aurais voulu saluer en grandes pompes et en quelque sorte comme officiellement l'arrivée d'un nouveau collaborateur sur ce blog : il s'agit de monsieur Jean-Marc Lemelin, qui par ses qualités et ses talents, aurait pu nettement rehausser le niveau général et la teneur intellectuelle des textes qui, morceau par morceau et commentaires après commentaires, construisent la position éditoriale et l'intérêt croissant de ce site pour lecteurs exigeants et apprentis penseurs (nous le sommes tous à un degré ou à un autre).

Jean-Marc est professeur à l'Université Mémoriale de Terre-Neuve (Memorial University of Newfoundland) où il enseigne aux étudiants des trois cycles tout ce qui a trait à la culture française, de la base (grammaire) aux sommets de l'érudition, analyses littéraires, sémiologie et débats philosophiques, par exemple. C'est un auteur à la tête d'une œuvre importante et vous trouverez beaucoup d'informations émanant de ce penseur original sur son site Pragrammatique.

Il aurait donc été possible, en passant à travers la succession des humeurs et le crépitement des questionnements, de poser quelques jalons et repérer quelques pistes dans un chemin de pensée qui reste encore à définir mais qui rétrospectivement pourra jeter quelque lumière et produire du sens. L'interaction aurait pu commencer par le jeu des commentaires, réponses, répliques... allant vers une dialogique qui ne se fera pas, finalement, en tout cas pas ici.

Pour le reste, on verra.

JP

6 commentaires:

Unknown a dit…

1) Il importerait d'abord de s'entendre sur un diagnostic concernant l'état du monde et non de l'univers, car le monde n'a pas de prise sur l'univers, sauf sur le climat. À la suite d'un diagnostic, il faudrait envisager une clinique et une thérapeutique, une tactique et une stratégie. Par exemple, faut-il encore écouter ceux qui croient au capital et qui veulent sauver le capitalisme parce que ce serait le fin mot de la démocratie? La démocratie elle-même est-elle le mot de la fin de l'histoire et de la liberté?

2) Qu'une prégnance soit immanente ne fait point de doute; mais pour que l'immanence accède au transcendantal, il lui faut aussi être imminente, c'est-à-dire extatique (future), pour échapper à l'éminence (passée ou présente). Il n'y a pas de justesse sans promesse.

3) En toute rigueur, un « être spirituel » ne saurait précéder l'être humain, soit la bête humaine : la "bêtre" et le "parlêtre"; sinon, il n'y a pas lieu de parler d'anthropogenèse, il suffit de s'en remettre à la théologie et à la scolastique.

4) Opposer Heidegger et Sartre est un débat qui tient de la sophistique universitaire et de l'histoire de la philosophie; il y a mieux à faire : une science du sens, une science de l'homme, une science du sujet. Quelles sont alors les théories les plus cohérentes et les plus pertinentes?

5) Peter Sloterdijk est un penseur profond et puissant. D'abord, semble-t-il, une sorte de hippie et de mystique, il s'est attelé à la philosophie, à Nietzsche et à Heidegger, dont il est une sorte de disciple. Dans la dizaine ou la douzaine d'ouvrages traduits en français que nous connaissons (Pour les références, voir : PRAGRAMMATIQUE : www.ucs.mun.ca­/­lemelin : Bibliographie de pragrammatique 2 et 7), il est d'abord un critique de la Théorie critique première version (Adorno et Benjamin) et deuxième version (Habermas). Son ouvrage principal est Sphères, surtout le troisième volume; le deuxième, qui n'est pas encore traduit en français, s'annonce encore plus percutant. Par contre, sa critique de la psychanalyse est particulièrement courte : on ne peut prétendre invalider l'oeuvre monumentale de Jacques Lacan en se limitant à son article sur « Le stade du miroir », qui date de 1939! Sloterdijk a en commun avec Michel Foucault de sous-estimer la puissance de la psychanalyse comme "ab-science". Foucault, dans son dernier cours au Collège de France avant de mourir en 1984, intitulé Le courage de la vérité, parle de Socrate et des Cyniques; il mentionne l'ouvrage de Sloterdijk, Critique de la raison cynique, qu'il dit ne pas avoir lu (l'ouvrage n'était pas alors traduit en français, mais Foucault est lui-même le traducteur de l'Antrhopologie de Kant).

(À suivre)

Jacques Perreault a dit…

Bonjour Jean-Marc,

Quand tu commences, ça paraît ! Je vois que je vais devoir me mettre un peu plus sérieusement au travail, ne serait-ce que pour tâcher de te comprendre plus adéquatement.

1) Je suis d'accord avec l'énoncé prioritaire. Je crois que l'évolution du climat ne nous donne que peu de temps pour réagir afin d'éviter une profonde dégradation de l'habitat humain sur la planète et qui mènerait à des catastrophes sans nom, conflits, famines et réduction radicale de la relative surpopulation actuelle. Il faut nourrir les masses et le désert envahit partout, restreignant le domaine cultivable. La science n'a pas encore mis au point une ou des alternatives à l'agriculture plus ou moins traditionnelle, en tout cas pas à si grande échelle.

2) Veux-tu que nous changions le nom du blog ? Une seule lettre pourrait, en effet, faire une grande différence, satisfaisant ton exigence de rigueur. Alors, si tu veux, je mettrai "Prégnances imminentes". Mais je suis plus bouillon que toi et pour le moment je ne me sens pas en mesure de faire des promesses. Sinon minimale : je vais tâcher d'être honnête.

3) Précéder est ici une façon de parler et il faudrait plutôt s'en remettre à Platon, Aurobindo ou Bouddha : qu'est-ce qui précède "la chute" dans le temps, l'explosion d'une singularité en ce vaste univers ? Mais cela n'est pas du domaine du savoir, en effet, comme tu le dis en toute rigueur. C'est du domaine de la croyance.

Celle-ci ne m'apparaît pas extravagante, cependant (jamais autant que de croire dur comme fer que le grand Dieu de tous les mondes a écrit la vérité immuable en arabe). Croyance vitale, prégnante car chevillée à l'âme (dont nous verrons si l'on peut établir positivement le mode d'existence), qui ne doit pas, cependant, contaminer le jugement sur le domaine de l'étant.

4) Je recherche une théorie du sujet en m'appuyant sur les quelques (maigres?!) moyens que je crois posséder. Je sais que ta construction est plus avancée, difficile à comprendre dans son ensemble, donc ouverte possiblement, à quelques explications dans ce domaine.

5) Il y a longtemps que je te parle de Sloterdijk, plus longtemps encore où je me compte aux rangs, jadis clairsemés, de ses admirateurs (le sens de la formule, l'ironie sur les questions difficiles) et je suis heureux que tu aies fini par surmonter ta résistance à te l'approprier. Ça valait le coup : quand tu fais quelque chose, tu ne le fais pas à moitié !

Je pense que nous aurons l'occasion de reparler de la psychanalyse et de Lacan.

Je ne sais pas si j'ai le courage de la vérité, cela peut être exorbitant ! Mais j'en ai certainement le désir.

OK, alors, si tu veux bien, nous pourrions commencer par coordonner ou comparer nos appréhensions sur "le monde".

À bientôt, Jacques

Jacques Perreault a dit…

Alors, Jean-Marc a donné suite à son commentaire mais sans tenir compte du mien. L'as-t-il lu ? Bof, sans importance. (Un soupçon d'autisme, ici ?)

Bon, mais il n'a pas été capable de "shooter", ici par ce dispositif simpliste, cette suite lui-même.

Il nous impose la tâche de le retranscrire. En voici donc, aussi fidèlement que possible, le texte :

"Je voudrais d'abord signaler que le dernier mot du premier commentaire est évidemment une coquille: il faut lire "anthropologie";
l'adresse exacte du site de JML est www.ucs.mun.ca/~lemelin/ ;
il y a une erreur à corriger : Jacques Lacan a prononcé sa conférence sur « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle est révélée dans l'expérience psychanalytique » à Zürich en 1949 (et non en 1939), mais elle avait été précédée par « Au-delà du "Principe de réalité" » à Marienbad en 1936 [voir les Écrits de Lacan, Seuil (Le champ freudien), 1966 (928 p. : p. 93-100 et p. 73-92].

Peter Sloterdijk fait remonter les origines de la psychanalyse au magnétisme de Mesmer et il fait plutôt appel à l'École newyorkaise de « psychohistoire » fondée et dirigée par Lloyd DeMause. Par ailleurs, sa critique d'Adorno semble juste; mais celle de Benjamin est injustifiée et injuste : Benjamin est le premier à avoir tenté de penser l'art comme (méta)physique, esthétique et technique, ainsi que politique; de plus, il est un grand penseur de la traduction, comme Hölderlin avant lui et Meschonnic après lui (qui le critique). Enfin, Sloterdijk dénonce le communisme en prétendant que nous en sommes au « postcommunisme » : c'est confondre une tendance ou une force et un état ou une forme; il n'y a jamais eu de société communiste, sauf - peut-être - primitive, mais il y a eu des États socialistes - ce qui n'est guère la même chose...

Il est vrai que le climat du monde affecte l'univers et qu'il faut contrer la pollution de l'air (par la climatisation et le pétrole), ainsi que le gaspillage et la privatisation de l'eau. Il ne faut cependant pas négliger la pollution des âmes et des esprits ou des cœurs et la pollution des corps. Le film Home, diffusé au début de juin 2009 sur les ondes de RDI, est une assez bonne description du climat actuel de la planète; mais il n'y a guère d'explication de son origine : le journalisme n'ose pas s'en prendre au capitalisme, qui en est la source. En outre, qui empêchera les États-Unis, le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine de continuer de s'industrialiser et de polluer ? Ivan Illich avait vu - il y a longtemps déjà - comment le développement des transports par des véhicules comme la voiture et l'administration de la santé étaient contre-productifs.

Une théorie du sujet ne peut se passer d'une théorie de l'âme, d'une âme qui n'a rien d'immortel, mais qui est le sens des organes des sens [cf. Heidegger, mais aussi Pascal].

Jacques Perreault a dit…

commentaire Jean-Marc, suite...

*

L’état du monde nécessite d’abord de s’entendre sur ce qu’est le monde, qui n’est pas l’univers; c’est ainsi que l’on vient au monde et que l’on est au monde, que l’animal est « pauvre en monde » [Heidegger] ou qu’il ne l’est pas [Derrida] et que la pierre n’a pas de monde. Distinguons donc le monde habité, le monde habitant et l’habitat :

Monde habité Monde habitant

­

Habitat

Le monde habité est le monde géographique et démographique de la vie : c’est le monde perçu par les cinq sens externes (l’extéroceptivité); le monde habitant est le monde politique ou économique ou sociologique et psychologique de la vie : c’est le monde conçu par le sens interne (l’intéroceptivité); l’habitat est le monde psychique et social ou transindividuel : c’est le monde vécu par le sens intime (la proprioceptivité). Habiter, habiller et s’habiller ou s’abriter.

Le « monde ambiant » et à la fois habité et habitant; il est aux prises avec la guerre. À ce sujet, l’on peut se demander, comme certains polémologues, s’il y a des guerres justes : la Deuxième Guerre Mondiale ne permet pas d’en douter. Mais une guerre n’est-elle juste que pour le(s) vainqueur(s) ? Qu’en est-il de la « guerre préventive », qu’elle soit défensive ou offensive ? Est-ce autre chose que juste une guerre de plus ? En quoi une guerre sans « déclaration de guerre » se distingue-t-elle du terrorisme d’État, voire de la vendetta ? Une chose est certaine : la guerre détruit le monde jusqu’à l’habitat…

Jacques Perreault a dit…

Pour l'instant je retiens un passage important du commentaire.

"Une théorie du sujet ne peut se passer d'une théorie de l'âme, d'une âme qui n'a rien d'immortel, mais qui est le sens des organes des sens [cf. Heidegger, mais aussi Pascal]."


Et je demande, cette formule du "sens des organes des sens" permet-elle d'entrevoir un pont entre Heidegger (+ Pascal) et Michel Henry?

Le tournant vers l'être est-il conciliable avec la phénoménologie matérielle?

Et comment définir l'âme, plus précisément ? Peut-elle être autre que la résonance de l'affectivité? Note tenue, effet d'unification du divers?

Jacques Perreault a dit…

Autre chose,Jean-Marc :

Tu attires mon attention sur cette idée que Sloterdijk serait un "disciple" de Heidegger.

Je ne l'avais pas senti comme ça. Je le voyais comme un critique et assez ironique à part ça, des positions en tout cas les plus vétustes, sinon ridicules et mystiques de ce cher Professeur.

Je vais relire "Règles pour le parc humain" dans cette perspective et je vais en faire la substance d'un prochain billet.