dimanche 28 juin 2009

Heidegger encore...

"Le don de soi dans l'ouvert au moyen de cet ouvert est l'Être même." Lettre sur l'humanisme, op. cit., p. 87 Le pas en retrait, par rapport à la démarche au long cours de l'histoire de la métaphysique, proposé par Heidegger permet au moins d'attirer l'attention sur la question de la donation (originaire).

Ici, donc, l'Être est caractérisé essentiellement comme "don de soi dans et par l'ouvert". Il s'agit de considérer que l'"Être" donne l'éclaircie comme son être le plus essentiel à l'homme. Dans cette perspective, cela serait imputable à l'"Être" si l'être même fondamental de l'homme doit être d'habiter l'éclaircie de l'Être, ou la clairière (jolie métaphore par laquelle j'entends, mettons, l'ensemble des possibilités de la conscience ou l'univers de l'ensemble des consciences possibles) ou l'ouvert (soit la possibilité même de savoir et d'être au monde, dont conscient : foisonnement de l'ensemble des phénomènes et manifestations humaines qui se détaillent en histoire et cultures, etc.).

"Peut-être le mot "est" ne peut-il se dire en rigueur que de l'Être, de sorte que tout étant n'"est" pas, ne peut jamais proprement "être"." (Ibid. p. 89) C'est à un retournement, à tout le moins de l'attention, que nous sommes conviés puisqu'il s'agirait de se placer dans la perspective où il n'y a que l'"Être" qui soit vraiment et pleinement. Et perspective, le mot est faible, puisque cela serait l'idée, ici suggérée, d'une position en surplomb ou englobante de toute perspective possible, qui ont cours à partir du (ou des) domaine(s) de l'étant.

"L'avoir-lieu de l'histoire déploie son essence comme le destin de la vérité de l'être, à partir de celui-ci (...). L'être accède à son destin, en tant que Lui-même, l'Être, se donne. >(S'impose...?)< Ce qui signifie, pensé conformément à son destin : Il se donne et se refuse à la fois." (p. 91) Comme l'amour d'une femme... Non ! Mais d'une manière à la fois plus impondérable et moins capricieuse. Mais cela à a voir avec l'abri, mise en sûreté du sens dans le langage.

Suit une discussion des thèses de Hegel.

"Ce qui procède de la métaphysique absolue ne saurait être abordé et encore moins éliminé par des réfutations. On ne peut que l'accueillir en tant que sa vérité, ramenée plus originellement à l'Être lui-même, est celé en lui et soustrait à la sphère d'une opinion purement humaine."

On ne peut donc pas réfuter Heidegger. Mais il ne s'adresse qu'à quelques penseurs alors que Sartre, à la fois plus littéraire et libertaire, s'adresse à tous les hommes. Et Heidegger parle de "la lutte amoureuse des penseurs", où il ne s,agit pas d'annulation et de réfutation mais d'accompagner et de prolonger un mouvement de pensée au-delà de sa conclusion ou de son domaine de validité.

Rétrospectivement nous pouvons dire que le destin de Sartre était de susciter une responsabilisation accrue de son historicité par l'homme ; alors que celui de Heidegger serait d'attirer l'attention sur l'arrière-plan de tout ce dont nous avons l'expérience, la donation "originaire" (?) qui rend "tout cela" possible. On ne peut pas réfuter une telle visée ou projet de dévoilement mais on peut lui préférer une autre attitude. D'ailleurs, Sartre pense en tout conscience et je crois lucidement à l'intérieur du domaine ouvert par Heidegger et dans le prolongement de ce dévoilement.

Exil, dériliction de l'homme moderne

Heidegger nous invite à considérer l'Être comme notre patrie d'origine et dont nous aurions été... déportés ? Mais pour autant que nous le sachions en tout cas nous n'avons pas conscience d'avoir jamais habité cette patrie, ni jamais ni à l'origine... L'allégation d'une inconscience ou d'un inconscient, voire de l'inanité de tout cet ensemble de phénomènes que l'on subsume sous la désignation de "la conscience" est irréfutable... car infalsifiable. Improuvable, pas testable ! Il conviendrait donc, à tout le moins, de se méfier...

Il n'est pas question non plus, donc, d'y revenir et l'on ne pourrait pas proprement parler d'un "oubli" de ce domaine ou de cette période, perdu quelque part dans le temps, puisqu'il ne s'agit pas d'une existence passée dans cette patrie dite de l'Être. Pourquoi dès lors, continuer de parler de cet ineffable, de cette origine à jamais inaccessible. Et en quel sens, comme autrement, pourrait-on parler d'oubli ?

Serait-ce le fait d'être tombé dans le temps à partir d'un mode, mais de quoi?, de présence?, d'in-sistance? Et en quel sens "antérieur" au temps ? Problème : une sorte d'aventure nous aurait précipité dans l'oubli, cet oubli de la patrie originelle mais dès lors cachée ? Est-ce une expérience identifiable, chez nous, de ne se sentir nulle part chez soi, en exil insondable ?

Pour le moment tout ce que j'y vois c'est l'affect pathétique, poétique, d'une insondable nostalgie. Comme si l'homme, en sa conscience ou comme un noyau, sa racine, peut-être, sentait qu'il n'était pas d'ici, originaire et habitant ordinaire de ce monde des temporalités et que son destin était de retourner vers l'Éternel...

Mais cela rend un ton exactement biblique. Et c'est ce qui agace, chez les Juifs, par exemple, "le peuple Élu" : ils prétendent avoir LA réponse, révélée à eux, et uniquement par préférence. Élection. Cela n'a pas fini de faire des jaloux, et pas seulement l'Islam, qui est en fait une réaction de contre-révélation. Maturité zéro, genre : mon Père est plus fort que le Tien ! C'est pourquoi il y a une lutte à finir entre ces deux con-traditions.

Mais plus haut, dans cette Lettre sur l'humanisme, p. 77, il était pourtant dit que "L`Etre" -- ce n'est ni Dieu, ni un fondement du monde. Mais alors, qu'est-ce que "c'est" ? Une volonté -par exemple de mise à l'abri du fait d'être?-, une provenance? un affect? une vision? ou encore, un désir!? Humain, trop humain : car toute volonté désire, ô profondément l'éternité. Selon la parole de Zarathoustra.

Est-ce uniquement la modernité qui expérimente cette absence de patrie ? Mais cela serait nouveau, et non pas ancien ou immémorial, que l'esprit ne soit pas rendu à bon port et ne soit pas parvenu à s'assurer de son être. Le déracinement comme mode d'existence, moderne, dans les villes, crée de nouveaux désirs... d'enracinement ?

Difficile liberté. Le destin de la grande majorité des humains est de la fuir comme la peste, la sienne propre, pourtant, unique ou particulière.

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