mercredi 18 mars 2009

croissance et histoire

La croissance est un mythe, peut-être le mythe moderne le plus important, dans ses effets réels, en tout cas, sinon dans sa puissance d'attraction symbolique. Il est prépondérant dans le domaine de l'économie. Cette notion est devenue un dogme que de trop rares penseurs (pour ne pas parler des économistes --mais l'économie est une chose trop importante pour être laissée aux mains des économistes !--) osent remettre en question.

Mais un examen de l'histoire à tête froide nous indique que diverses situations se produisent. Des fois un certain type de croissance sera possible, voire nécessaire. Mais à d'autres moments elle sera néfaste voire impossible. Il serait intéressant de produire quelques exemples, ici, tirés, pourquoi pas, de la Critique de la Raison Dialectique de Jean-Paul Sartre.

Ce mythe moderne aggrave la perception de la crise actuelle mais aussi la sévérité de ses effets réels, comme il ne serait pas difficile de le montrer. Mais nous nous trouvons dans une situation où, historiquement, comme à la croisée des chemins, nous ne pouvons plus supporter de continuer à sacrifier à ce mythe.

Il y a déjà un certain temps que les écologistes les plus sérieux nous démontrent que cette croissance est néfaste et les plus récentes données sur les changements climatiques semblent corroborer leur démonstration par la sanction pratique du réel. Je crois qu'il est devenu assez évident que nous ne pouvons plus poursuivre cette croissance, "la" croissance à tout prix, du moins, par ce type de croissance : parce qu'elle est 1) quantitative, 2) aliénante, 3) gaspilleuse et 4) finalement destructrice.

1) Quantitative. Elle est mesurée par le Produit Intérieur Brut (Gross Domestic Product, GDP pour les intimes), le fameux PIB, et ce, même s'il implique de produire plus d'armes, plus de pollution, plus d'inconvénients et de maladies, plus de problèmes et de malheurs. Machine sans âme, c'est bien en cela qu'elle est purement quantitative, complètement indifférente au bien comme au mal, ainsi qu'à toute considération de qualité de vie dans l'habiter humain.

2) Aliénante. Elle se fait et se produit au détriment de la dignité et du développement de l'éducation et des capacités humaines du plus grand nombre, des producteurs comme des consommateurs. Elle mise sur le développement des besoins souvent les plus bas et les plus vils, encourage même les vices et les pires tares qui puissent se trouver dans la culture au sens large et dans le répertoire comportemental humain. Cette "croissance", globalement, se nourrit des défauts de la masse des individus, les isole davantage et les rend plus insatisfaits, mécontents d'eux-mêmes et des autres, plus dépendants aussi et plus faibles : malheureux.

3) Gaspilleuse. Tout cela se fait à grands frais de ressources rares et/ou non renouvelables.

4) Finalement destructrice. Cette croissance mauvaise produit toujours plus de pollution, plus d'armes qui vont finir par être utilisées dans des guerres de toutes sortes, va donc détruire à la fin du processus plus de vies, de terres arables et fertiles nécessaires à nourrir les populations, pour finir par mettre en danger de plus en plus radicalement toute vie humaine sur la terre.

Cette croissance économique, quantitative et unidimensionnelle (que je caractérise comme classique, en référence et non révérence aux théories économiques classiques) mise sur l'accroissement continuel de la population, pour augmenter sinon la masse des producteurs, du moins celle de consommateurs afin de relancer la machine en complétant le cycle du capital.

Mais ceux qui réfléchissent commencent à s'apercevoir que finalement, il est absurde de viser un accroissement de la population alors que les ressources non renouvelables sont dilapidées et que nous ne sommes plus en mesure d'assurer la survie à long terme de ces populations qui deviennent ainsi rapidement excédentaires.

Il serait plus conforme au simple bon sens de chercher à stabiliser la population alors que ces problèmes qui confrontent la masse des gens s'intensifient et se multiplient.. Cela serait un bon premier pas dans la direction d'une reprise en main par l'humanité de son destin. Cela serait, en fait, la véritable naissance du sujet humain, comme sujet de son histoire, cela dans une civilisation que s'assure de durer, inaugurant ainsi tout un nouveau cycle de développement.

En attendant que nous commencions à prendre de meilleures décisions, je vous souhaite à tous bonne chance, alors que les dinosaures continuent de surveiller la comète.

2 commentaires:

Jacques Perreault a dit…

Je donne comme en annexe cette citation de Critique de la Raison Dialectique, tome II (publication posthume), Paris, Gallimard, 1985, p.23-4, qui questionne cet a priori de la lutte et du travail comme moteurs de la dialectique matérialiste.

Jacques Perreault a dit…

CRD II, p. 23-4. Voici le texte :

Mais en même temps que nous saisissons la double relation travail-conflit comme constitutif de l'histoire humaine, nous devons reconnaître que notre histoire est un cas singulier parmi toutes les histoires possibles et que l'histoire est une relation particulière et un cas particulier des systèmes de relations possibles à l'intérieur des multiplicités pratiques. La réciprocité, par exemple – en tant que pouvant être a priori négative ou positive – est une relation valable pour tous les ensembles pratiques. Mais il n'est pas démontrable a priori que tout ensemble pratique doive sécréter une histoire ni même que toutes les histoires possibles doivent être conditionnées par la rareté. Les considérations précédentes n'ont d'intérêt qu'en tant qu'elles se veulent limitatives et nous servent tout simplement à marquer les frontières de nos connaissances et de nos affirmations : le problème de l'intelligibilité des transformations en cours à l'intérieur des sociétés déchirées est pour nous fondamental; mais, pour une théorie des ensembles pratiques qui se voudrait universelle, les développements envisagés se présentent avec toute la contingente richesse d'une singularité. Si lon voulait faire de la lutte une structure universelle des histoires, il faudrait prouver que le seul rapport originel des organismes pratiques avec le milieu extérieur qui les nourrit et qui les porte doit être la rareté. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que cette démonstration n'est pas aujourd'hui possible. Quoi qu'il en soit, l'étude de l'intelligibilité des réciprocités antagonistes (et, par conséquent, de l'histoire humaine) demeure dans le cadre formel de l'expérience critique : a priori, ce niveau, nous pouvons saisir immédiatement le lien de cette intelligibilité à celle du processus historique : dans le cadre de la rareté, les rapports constitutifs sont fondamentalement antagonistiques ; à considérer leur développement temporel, ils se présentent sous forme de cet événement qu'est la lutte. Or celle-ci – si elle doit pouvoir, d'un certain point de vue, être considérée comme unité – engendre des produits qui deviendront les circonstances matérielles que devront dépasser d'autres générations lancées dans d'autres conflits. Mieux encore, dans la mesure où elle déborde chacun des adversaires, elle s'engendre elle-même comme son propre processus : cet événement rigoureusement humain se produisant par-delà toute praxis comme indétermination et surdétermination de ses produits et de lui-même par des surcharges pratiques, nous voyons à la fois qu'il renvoie de part en part et de tous les points de vue à la praxis (les circonstances matérielles qui le conditionnent ou qu'il engendre, nous ne pouvons ni ne devons les interpréter qu'à travers le dépassement qui les conserve et qu'ils orientent) et à la fois qu'il déborde les adversaires et devien par eux autre que ce que chacun projette. C'est, on l'a compris, la définition même du processus historique, en tant qu'il est temporalisation en cours de l'histoire humaine.