vendredi 20 novembre 2009

La seconde naissance

In C'est moi la vérité -Pour une philosophie du christianisme, p. 192

Le christianisme se donne pour but explicite de permettre à l'homme d'assurer son salut. Selon ses intuitions décisives, ce salut consiste pour l'ego à retrouver dans sa propre vie la Vie absolue qui ne cesse de l'engendrer. Dans ce projet général sont impliquées deux démarches. Il s'agit d'abord pour l'ego/homme perdu dans le monde, ne se rpéoccupant que des choses et ne pensant à soi que dans ce rapport aux choses -- "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses... " (Luc 10,11) --, de s'apercevoir au contraire dans sa condition véritable, celle d'un vivant qui ne tient cependant jamais de lui-même sa condition de vivant. L'homme véritable, on l'a assez montré, n'est pas l'individu empirique aperçu dans le monde, c'est le moi transcendantal qui s'éprouve constamment comme vivant, comme cet ego qui mène la vie qui est la sienne sans être jamais a source de cette vie. C'est pouruqoi iil l'éprouve précisément dans cette passivité radicale propre à toute vie qui ne s'apporte pas elle-même en soi. Vivre comme un moi transcendantal vivant, donné à soi dans une vie qui ne se donne pas elle-même à soi, mais qui est donnée à soi dans la donation à soi de la Vie absolue qui est celle de Dieu, telle est la définition chrétienne de l'homme, sa conditions de Fils. Cette condition de l'homme comme Fils est précisément ce qui permet son salut. Que l'homme fasse l'épreuve en lui de cette Vie absolue qui n'a ni commencement ni fin, qu'il coïncide avec elle, et lui non plus, il ne connaîtra pas la mort.

vendredi 6 novembre 2009

Deux concepts de l'auto-affection

Dans C'est moi la vérité - pour une philosophie du christianisme, Michel Henry (éd. du Seuil, mars 1996, p. 135 à 137) se pose le problème d'une co-existence, en quelque sorte, de statuts (1) fils de la vie en tant que moi transcendant vivant "que je suis moi-même", d'une part, et 2) l'Archi-Fils, dont la figure du Christ est l'index et l'emblême, d'autre part, et enfin 3) l'essence phénoménologique de cette Vie absolue, soit Dieu lui-même, et cette co-existence doit être expliquée et décrite. Michel Henry le fait en proposant deux concepts de l'auto-affection, soit un concept fort et un concept faible, relativement l'un à l'autre.

Distinguons un concept fort et un concept faible de l'auto-affection. Selon son concept fort, la vie s'auto-affecte en un double sens -- en ceci que, d'une part elle définit elle-même le contenu de sa propre affection. Le "contenu" d'une joie, par exemple, c'est cette joie elle-même. D'autre part, cependant, la vie produit elle-même le contenu de son affection, ce contenu qu'elle est elle-même. Elle ne le produit pas à la manière d'une création extérieure jetant le créé hors de soi, comme quelque chose d'autre, d'étranger -- d'extérieur. Précisément elle ne le crée pas -- le contenu de la vie est incréé. Elle l'engendre, elle se donne à elle-même ce contenu qu'elle est elle-même. C'est la façon dont la vie se donne à elle-même ce contenu qu'elle est elle-même qui importe. Cette auto-donation qui est une auto-révélation est une affectivité transcendantale, un pathos en lequel tout s'éprouver soi-même est possible comme pathétique précisément, comme affectif dans le tréfonds de son être. Pour passive que soit cette épreuve que la vie fait constamment d'elle-même dans son étreinte pathétique, elle n'en est pas moins produite par la vie elle-même et c'est cette génération par soi de la vie qu'indique le concept fort de l'auto-affection. Selon ce concept donc, la vie est affectée par un contenu qui est elle-même, et c'st elle, de plus, qui pose ce contenu par lequel elle est affectée -- elle qui affecte, qui s'affecte. Ce concept fort de l'auto-affection est celui dela phénoménologie absolue et ne convient qu'à elle, c'est-a-dire à Dieu.

Moi, au contraire, Moi transcendantal vivant, je puise moi aussi mon essence dans l'auto-affection. En tant que moi, je m'affecte moi-même, je suis moi-même l'affecté et ce qui l'affecte, moi-même le "sujet" de cette affection et son contenu. Je m'éprouve moi-même, et cela constamment, pour autant que ce fait de m'éprouver moi-même constitue mon Moi. Mais je ne me suis pas apporté moi-même dans cette condition de m'éprouver moi-même. Je suis moi-même mais je ne suis moi-même pour rien dans cet "être-moi-même", je m'éprouve moi-même sans être la source de cette épreuve. Je suis donné à moi-même sans que cette donation relève de moi d'aucune façon. Je m'affecte et ainsi je m'auto-affecte, c'est moi, disons-nous, qui suis affecté et je le suis par moi en ce sens que le contenu qui m'affecte, c'est encore moi -- et non quelque chose d'autre, le senti, le touché, le voulu, le désiré, le pensé, etc. Mais cette auto-affection qui définit mon essence n'est pas mon fait. Et ainsi je ne m'affecte pas absolument mais, puor le dire avec rigueur, je suis et je me trouve auto-affecté. Ici se découvre à nous le sens faible du concept d'auto-affection, celui qui convient à la compréhension de l'essence de l'homme, non à celle de Dieu.

Comment se rapportent l'un à l'autre le sens faible et le sens fort du concept d'auto-affection ? Comment le premier renvoie-t-il nécessairement au second de façon à se fonder sur lui ? En ceci que le Soi singulier que je suis ne s'éprouve lui-même qu'à l'intérieur du mouvement par lequel la Vie se jette en soi et jouit de soi dans le procès éternel de son auto-affection absolue. Le Soi singulier s'auto-affecte, il est l'identité de l'affectant et de l'affecté mais il n'a pas posé lui-même cette identité. Le Soi ne s'auto-affecte que pour autant que s'auto-affecte en lui la Vie absolue. C'est elle, dans son auto-donation, qui le donne à lui-même. C'est elle, dans son auto-révélation, qui le révèle à lui-même. C'est elle, dans son étreinte pathétique, qui lui donne de s'étreindre pathétiquement et d'être un Soi.

Ainsi s'éclaire la passivité de ce Soi singulier que je suis, passivité qui le détermine de fond en comble. Passif, il ne l'est pas seulement à l'égard de lui-même et de chacune des modalités de sa vie, à la façon dont chaque souffrance est passive vis-a-vis de soi et n'est possible qu'à ce titre, ne tenant sa teneur affective que de cette passivité dont la teneur phénoménologique pure est l'affectivité comme telle. Passif, le Soi l'est d'abord à l'égard du procès éternel de l'auto-affection de la Vie qui l'engendre et ne cesse de l'engendrer. Cette passivité du Soi singulier dans la Vie, c'est elle qui le met à l'accusatif et fait de lui un moi et non un je, ce Soi qui n'est passif vis-à-vis de soi que parce qu'il l'est d'abord à l'égard de la Vie et de son auto-affection absolue.


Je suis conscient que par le choix de suivre l'itinéraire de pensée de Michel Henry plutôt et de préférence à celui de tout autre, nous progressons vers une théorie du sujet, en effet, mais dans le dessein de l'inscrire dans la référence à une continuité difficile conceptuellement, mais auto-évidente lorsque je convoque avec Michel Henry, le souvenir des dits et écrits de Maître Eckhart.

Il faut dire aussi que cette théorie et conception du sujet est, en fait, une pratique, un exercice que nous voudrions transparent et non seulement lucide, mais aussi translucide de la subjectivité, puisqu'il s'agit de voir à travers les apparences du monde des apparitions, vers un horizon transcendant au monde (tous Univers et multi-vers et Êtres confondus) mais qui rejoint cependant exactement ici l'immanence radicale en sa prégnance. Ici et maintenant je constate mon pouvoir de convoquer la Vérité qui est celle de la Vie et qui est au-delà de tout considération de monde.